Inbal Ben Haim fait entrer le papier dans l’Histoire du cirque. À la fois agrès, décor ou encore abri, le matériau est pour la jeune circassienne la base d’un langage complexe, dont la constante transformation dit les fragilités et les forces de l’artiste face au monde.
Support d’écritures quotidiennes, usuelles, le papier sait aussi accueillir de grandes œuvres littéraires. Idem pour le dessin ou la peinture : indifféremment, il se laisse barbouiller par des enfants ou s’offre au génie. Mais lorsqu’on lui fait confiance, il sait être davantage qu’un espace d’expression neutre. Certains plasticiens en font le centre, le sujet de leurs œuvres. Certains artistes de théâtre s’en remettent largement à lui pour déployer leurs récits, dans la lignée d’une tradition née en Angleterre au milieu du XIXème siècle, avant de s’étendre à l’ensemble de l’Europe. Mais il est des disciplines artistiques où le papier n’est encore jamais entré, ou alors à la manière discrète qui le caractérise encore le plus souvent. C’est le cas du cirque, réalise-t-on grâce à Inbal Ben Haim dont le spectacle Pli, qui vient d’être créé aux Subs à Lyon, était pour cette raison et pour bien d’autres – notamment du fait que l’artiste était lauréate Circusnext2021, et qu’en tant que producteurs délégués les Subs ont bien su faire courir le bruit qu’une beauté allait naître – très attendu des professionnels et amateurs de la discipline.
L’attente est récompensée : avec son unique matériau, l’artiste diplômée du Centre National des Arts du Cirque (CNAC) en 2018, déjà associée au Centre National Chorégraphie de Grenoble, invente un langage pluriel. C’est d’abord sous forme de rouleaux de papier kraft que se manifeste le matériau en question. Classique. Avec l’« ingénieur froisseur plieur » Alexis Mérat rencontré au CNAC et l’artiste et scénographe Domitille Martin, Inbal commence par tapisser le plateau de longues bandes où l’on se prépare à voir surgir des signes. C’est en effet le cas, mais pas de la manière attendue : saisissant chacun un grand ruban de papier, Inbal et Alexis semblent sur le point de le déchirer jusqu’à ce qu’en le tordant, en le pliant, ils le transforment en une sorte de corde solide, capable de relier n’importe quoi. Dans Pli, le papier ne garde jamais longtemps la même forme, ni la même fonction. Aussi fragile que résistant, il souligne les failles et les forces des trois artistes qui le manipulent ou sont manipulés par lui. Car les relations homme-papier, elles aussi, sont mouvantes. Elles peuvent être douces et virer sans transition dans la violence, et inversement.
Chacun des trois artistes au plateau entretient un rapport particulier avec le papier. Pour Alexis Mérat, il s’agit surtout d’en faire surgir des sculptures éphémères, qui souvent s’élèvent du sol jusqu’au plafond et peuvent faire office pour Inbal Ben Haim de corde lisse, sa spécialité. Pour elle, papier égale donc agrès, mais pas seulement. Car chacun participe aux activités de l’autre dans Pli. Comme aux sculptures de l’un et aux agrès de l’autre, tous mettent ainsi du leur dans les paysages abstraits qu’aime à façonner Domitille Martin, et qui sont sublimés par la création lumière de Marie-Sol Kim. La fabrication de ces sculptures, agrès et paysages constitue l’essentiel de la pièce, dont les parties font davantage penser aux chapitres d’un livre – style Nouveau Roman peut-être, car il n’y a pas l’ombre d’une histoire dans Pli, mais beaucoup de détails que l’on observe parfois longtemps – qu’à des numéros tels qu’ils existent dans le cirque traditionnel, et encore souvent dans le nouveau cirque. Les feuilles qui se tournent dans la pièce d’Inbal Ben Haïm laissent des traces dans les corps des interprètes et la mémoire du spectateur.
Les gestes, les froissures se superposent, se chevauchent en laissant toujours des interstices à remplir ou à laisser tels quels. Les pages, les lanières, copeaux et autres formes de papier qui cohabitent dans la pièce ne sont pas blancs, mais ils ne sont pas non plus vierges. Sur leurs surfaces diverses, les trois corps eux aussi bien différents de Pli impriment des histoires qui se donnent à lire d’une manière très ouverte, sans imposer de sens. Dans ces aventures, on peut ainsi trouver l’influence des paysages d’Israël, où Inbal Ben Haïm a grandi. On peut encore y voir les marques laissées par la culture et les arts japonais dont l’artiste se dit très inspirée – elle cite par exemple le styliste Issey Miyake, le travail de Chiharu Shiota, fait essentiellement de fils arachnéens, la danse butô ou encore le concept spirituel du wabi-sabi, qui consiste à chercher la beauté dans l’imperfection. Mêlées à des références circassiennes – Inbal se situe elle-même dans la filiation d’artistes femmes telles que Chloé Moglia, Mélissa Von Vépy ou Fanny Soriano qui pratiquent l’acrobatie aérienne de manières nouvelles –, ces influences multiples font de sa création un objet à observer sous toutes ses pliures.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Pli
Conception et interprétation : Inbal Ben Haim
Scénographie, accessoires, interprétation et collaboration à l’écriture : Domitille Martin
Ingénierie – construction papier, interprétation et collaboration à l’écriture : Alexis Mérat
Création lumière : Marie-Sol Kim
Création son : Max Bruckert
Musique originale additionnelle : Caroline Chaspoul et Eduardo Henriquez (Nova Materia)
Regards extérieurs et dramaturgie : Eleonora Gimenez, Shahar Dor
Assistante mise en scène : Kamma Rosenbeck
Collaboration technique et artistique : Sophie Lascombes
Conseils manipulation d’objets : Inbal Yomtovian
Conseils artistiques : Elodie Perrin
Costumes : Clémentine Monsaingeon
Régie générale : Yann Guénard
Remerciements – Piste d’Azur – Centre Régional des Arts du Cirque, Le CNAC – Centre National des Arts du Cirque Châlons-en-Champagne, ICiMa – Chaire d’Innovation Cirque et Marionnette, ON – Center for Contemporary Circus Création – Israël, Orit Nevo, Lucie BonnetProduction : Les SUBS – lieu vivant d’expériences artistiques, Lyon
Avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès dans le cadre du programme New Settings
Coproduction et résidence :
Le CCN2 – Centre chorégraphique national de Grenoble ; La Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie | La Brèche à Cherbourg – Cirque-Théâtre d’Elbeuf ; Le Théâtre de Rungis ; ARCHAOS – Pôle National Cirque Méditerranée, Marseille ; Les utoPistes, Lyon ; 6 mettre – Pôle de création dédié aux arts vivants, Fresnes ; Le Plus Petit Cirque du Monde, Bagneux, CDN d’Orléans, Circusnext.Soutiens :
La DRAC Auvergne-Rhône-Alpes ; La Région Ile-de-France – FoRTE, Fonds Régional pour les Talents Émergents ; La SACD / Processus Cirque ; La Nationale des papeteries ; Gascogne Papier.Lauréat circusnext 2020-2021, plateforme co-financée par le programme Europe Créative de l’Union européenne.
Inbal Ben Haim est artiste associée au CCN2 Grenoble en 2020-2022.
Durée : 1h
Le Monfort
di 12 au 15 oct 2022 à 20h30
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