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Rébecca Chaillon au pays des merveilles noires

A voir, Festival d'Avignon, Le Havre, Les critiques, Malakoff, Paris, Théâtre

photo Christophe Raynaud de Lage

Dans Carte Noire nommée Désir, la performeuse, autrice et metteuse en scène Rébecca Chaillon invente avec sept autres artistes un grand rituel hybride. Un espace intime et collectif où le geste et la parole ne cessent de se transformer pour déconstruire les regards blancs portés sur les corps noirs.

L’arôme de Carte Noire nommée Désir est de ceux qui ne trompent pas. Pour filer la métaphore culinaire chère à Rébecca Chaillon, qui au sein de sa compagnie Dans le ventre, imagine depuis 2006 des performances où le féminin s’exprime entre autres à travers un rapport singulier à la nourriture, cette pièce, créée en novembre 2021 au Théâtre de la Manufacture, et reprise lors du 77e Festival d’Avignon, s’ouvre sur une saveur franche, tranchante. En invitant les femmes noires du public à prendre place sur des canapés installés pour elles d’un côté du plateau, en face des gradins où s’assoient tous les autres spectateurs, les équipes des lieux qui accueillent le spectacle se font le relais de l’intention de l’artiste. Laquelle est d’ailleurs déjà occupée à la même chose, mais différemment : tandis que chacun regagne la place qui lui est attribuée, la performeuse, autrice et metteuse en scène s’acharne avec une serpillère sur le sol du plateau. Un plateau blanc, qui contraste avec la couleur de son corps, noir, malgré le maquillage dont il est au départ recouvert.

Cette séparation noires/blancs offre à Rébecca Chaillon un cadre où développer la pensée décoloniale qu’elle dit avoir creusée récemment. Depuis, lit-on sur la feuille de salle du spectacle, sa participation au documentaire d’Amandine Gay, Ouvrir la Voix / Speak Up qui donne la parole à vingt-quatre femmes afro-descendantes. À l’occasion du portrait que nous lui consacrions il y a quelques mois, elle nous confiait avoir approfondi sa réflexion sur les rapports entre noirs et blancs, et surtout blanches, auprès du collectif Décoloniser les Arts. Carte Noire nommée Désir témoigne de cette évolution. Dans cette pièce, bien davantage que dans ses performances précédentes, Rébecca Chaillon affirme la portée politique de son geste et l’exprime à travers son langage hybride, où la performance, le théâtre ou encore les arts plastiques se mêlent pour créer des images en mouvement, en transformation permanente. En intégrant toutes les matières citées plus tôt, le discours militant les fait de nouveau évoluer. Il en accentue les passionnants frottements.

Si Carte Noire nommée Désir n’est pas la première performance collective de l’artiste qui revendique une identité plurielle, faite de plusieurs traits souvent discriminés – couleur de peau, bisexualité, poids… –, elle s’y entoure pour la première fois d’artistes qui lui ressemblent. Du moins dans le questionnement de leur « négritude », notamment à l’endroit de l’amour et de la sexualité. Bebe Melkor-Kadior – remplacée au Festival d’Avignon par Davide-Christelle Sanvee –, Estelle Borel, Rébecca Chaillon, Aurore Déon, Maëva Husband en alternance avec Olivia Mabounga, Ophélie Mac, Makeda Monnet, Fatou Siby ont en effet beau avoir des personnalités et des expressions très variées, toutes construisent celles-ci en opposition à un modèle théâtral dominant, fondé sur le pouvoir du metteur en scène. Refusant comme Rébecca Chaillon de « composer au masculin » et de subir l’exotisation et l’hypersexualisation souvent imposées à leurs corps, elles développent des identités artistiques qui donnent tort à une tendance répandue à renvoyer dos à dos l’art et l’engagement.

Dans Carte Noire nommée Désir, dont le titre fait bien sûr référence à une célèbre marque de café, il ne faut guère chercher de récit-cadre au sens où on l’entend habituellement. Déconstruisant les pratiques théâtrales dominantes, où la linéarité fait loi, Rébecca Chaillon envisage la mise en scène comme un art de créer des cadres, des conditions idéales pour sa propre expression singulière et celle de ses sœurs noires. Dans cette pièce, le cadre est un labyrinthe qu’elle compare justement à celui d’Alice au pays des merveilles : les artistes qui accompagnent Rébecca dans son chemin afro-féministe évoluent dans un monde parallèle qu’elles créent à vue, de toutes pièces. Si leur Carte nous perd, c’est ainsi en pleine connaissance de cause, pour nous sortir de notre zone de confort, de nos habitudes d’interprétation. Une fois cela fait, et accepté, on se laisse avec bonheur embarquer dans une succession de gestes et de prises de paroles musclées. On prend part au rituel qu’on nous propose, tout en débordements.

Si Rébecca est d’abord au cœur de cette cérémonie aux accents baroques – après sa séance de nettoyage intensif, elle se laisse coiffer par ses interprètes, qui lui tressent des nattes gigantesques qu’elle traînera jusqu’à la fin du spectacle –, chacune des sept autres participantes a droit à ses moments de bravoure. Fatou Siby, par exemple, est une nounou qui empale sur un pieu qui lui traverse le corps tous les enfants français qu’on lui confie. Le chant et la harpe de Makeda Monnet adoucissent l’atmosphère, tout en affirmant une personnalité forte, à contre-courant. Avec sa roue Cyr, Estelle Borel souligne le caractère acrobatique, non sans risques, de toute cette Carte Noire nommée Désir.

D’une manière ou d’une autre, le groupe qui se consolide au fil de la pièce participe aux propositions de chacune : il lui fait écho, lui apporte force et compléments. Quelques scènes vraiment collectives – par exemple celle du Question pour un champion en mode féministe et décolonial – offrent de belles perspectives aux luttes individuelles que rassemble Carte Noire nommée Désir. Par le jeu, par l’imaginaire, les huit femmes en colère de cette pièce habitent leur plateau avec une telle puissance qu’on ne doute guère que l’expérience va durer.

Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr

Carte Noire nommée Désir
Texte et mise en scène Rébecca Chaillon
Avec Estelle Borel, Rébecca Chaillon, Aurore Déon, Maëva Husband (en alternance avec Olivia Mabounga), Ophélie Mac, Makeda Monnet, Davide-Christelle Sanvee, Fatou Siby
Dramaturgie Céline Champinot
Collaboration artistique Aurore Déon, Suzanne Péchenart
Scénographie Camille Riquier, Shehrazad Dermé
Régie son Issa Gouchène, Élisa Monteil
Régie lumière Myriam Adjalle
Assistanat à la mise en scène Jojo Armaing, Olivia Mabounga
Régie générale et plateau Suzanne Péchenart

Production Compagnie Dans le Ventre
Coproduction Théâtre de la Manufacture Centre dramatique national de Nancy, Le Carreau du Temple Établissement culturel et sportif de la Ville de Paris, Maillon Théâtre de Strasbourg Scène européenne, Scène nationale d’Orléans, Fonds de dotation Porosus, Fonds franco-allemand Transfabrik pour le spectacle vivant, Maison de la Culture d’Amiens, Nordwind Festival, L’Aire libre Centre de production des paroles contemporaines (Rennes), La Ferme du Buisson Scène nationale (Marne-la-Vallée), Centre dramatique national Normandie-Rouen (Rouen), Théâtre Dijon-Bourgogne Centre dramatique national, La Rose des vents Scène nationale Lille Métropole (Villeneuve-d’Ascq), Le Phénix Scène nationale Pôle européen de création dans le cadre du Campus partagé Amiens-Valenciennes, Théâtre Sorano Scène conventionnée (Toulouse)
Avec le soutien de SUBS (Lyon), Le Générateur Lieu d’art et de performances, La Loge (Paris), Kampnagel Fabrik (Hambourg), Dans les parages – La Zouze Compagnie Christophe Haleb (Marseille), Fonds d’insertion pour jeunes comédiens de l’École supérieure d’art dramatique PSPBB, Drac Hauts-de-France, Région Hauts-de-France
Avec la participation artistique de l’École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre (Ensatt)

Rébecca Chaillon est représentée par L’Arche agence théâtrale.
La Cie Dans le Ventre – Rébecca Chaillon est artiste associée au Théâtre de la Manufacture Centre dramatique national de Nancy.

Durée : 2h45

Festival d’Avignon 2023
Gymnase du Lycée Aubanel
du 20 au 25 juillet, à 19h

Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris
du 28 novembre au 17 décembre

Le Volcan Scène nationale du Havre
les 2 et 3 février 2024

Théâtre 71 Scène nationale, Malakoff
les 25 et 26 avril

20 juillet 2023/par Anaïs Heluin
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