Dans Silêncio, le Français Cédric Orain et le Portugais Guilherme Gomes franchissent la barrière de la langue et de la culture en abordant un objet qui se passe de mots : le silence. La forme fragmentaire pour laquelle ils optent ne leur permet hélas pas de saisir fermement leur volatile matière.
Silêncio, c’est d’abord l’histoire d’un homme qui, du jour au lendemain, sans raison apparente, ne supporte plus les bruits de la ville. Incarné par l’acteur, réalisateur et cascadeur portugais João Lagarto, ce monsieur ne manque pas de mots pour exprimer son irrépressible besoin de silence. En portugais, sa logorrhée qui dit la quête pleine de rebondissements d’un lieu retranché des bruits du monde illustre d’emblée la difficulté qu’il y a à se saisir intellectuellement et poétiquement du silence : n’ayant pas de langage propre, il peut être exprimé par tous types de paroles, y compris les plus éloignées de sa nature profonde, ou du moins de ce que l’on peut en imaginer. Pour approcher cet objet délicat et sauvage, l’auteur et metteur en scène français Cédric Orain et le Portugais Guilherme Gomes, directeur de la compagnie Teatro da Cidade, décident d’adopter un maximum de langages différents plutôt que d’en développer un seul.
À peine João Lagarto en a-t-il fini avec son comique flux de paroles, c’est un tout autre type de situation que les comédiens Tânia Alves et Marcello Urgeghe installent sur le plateau blanc de Silêncio, sorte de white cube légèrement modulable en fonction des différentes scènes qui se succèdent sans transition. Nous voilà auprès d’une mère et de son fils qui a décidé d’en finir avec la parole. Dans un monologue adressé au muet, la première décrit un tout autre silence que celui dont rêvait le personnage précédent : un silence qui résonne dans la société comme un cri, comme une révolte d’autant plus insupportable que sa cause demeure inconnue. En plus de n’avoir pas de langage propre, le silence, nous portent à constater Cédric Orain et Guilherme Gomes, n’a guère d’identité fixe. Ses visages sont en fait aussi multiples que les créations théâtrales où il joue toujours un rôle, tantôt mineur tantôt central.
En plus de faire cohabiter de nombreux langages et autant de registres – si la tonalité dominante est à l’absurde, à l’étrange, comique et tragique s’invitent régulièrement sur leur scène blanche –, les deux auteurs et metteurs en scène de Silêncio n’hésitent pas à convoquer aussi un maximum de types de silences. Des silences choisis, comme dans les deux premières scènes de leur spectacle, et d’autres subies : deux catégories qui peuvent regrouper des silences qui n’ont pourtant rien de commun. Le silence échappe à toute tentative d’analyse et surtout de classement. Sans chercher à nier cette difficulté, Cédric Orain et Guilherme Gomes ne l’abordent pas de front. Fait de fragments de natures très diverses, pour certains très réussis, leur spectacle semble s’éparpiller au moment même où il se fait.
Si l’on sent souvent qu’ils auraient pu se superposer, se compléter ou entrer en collision, chaque nouvelle bribe de silence – et surtout sur le silence, car il y a beaucoup plus de mots que de vides dans Silêncio – a tendance à chasser celle qui lui précède. Dans le dossier du spectacle, les deux artistes disaient pourtant vouloir créer un équivalent théâtral des azulejos, petites peintures cuites sur des carreaux de faïence réalisées au Portugal, en Espagne ou encore au Brésil, dont parle Pascal Quignard dans son livre La Frontière. Les fragments du spectacle ne parviennent pas à créer la sensation d’être dans un lieu précis, un carrefour d’histoires mais pourvu d’une identité propre, que donnent ces carrelages. L’entrelacement de la langue française et portugaise, la belle distribution entièrement portugaise et la sobriété du dispositif ne suffisent pas à créer un sentiment d’ensemble, aussi ténu soit-il. Les silences qui se suivent et ne se ressemblent pas sont sans doute pour Cédric Orain et Guilherme Gomes un passionnant terrain de jeu à deux. Il intègre hélas difficilement de nouveaux participants.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Silêncio
Texte et mise en scène Cédric Orain et Guilherme Gomes
Distribution bilingue Tânia Alves, Teresa Coutinho, Marcello Urgeghe, Guilherme Gomes et João Lagarto Scénographie / vidéo Pierre Nouvel
Création lumière Bertrand Couderc
Musique Marion Cros
Costumes Ângela Rocha
Régie vidéo Théo Lavirotte
Régie lumière Boris Pijetlovic
Régie générale Edouard Liotard Khouri-Haddad
Traduction Carina Amaral dos Santos
Administration, production et diffusion La Magnanerie – Victor Leclère, Anne Herrmann, Martin Galamez, Lauréna De la Torre et Margot Graindorge (France) et Maria João Garcia (Portugal)Coproduction Compagnie La Traversée, Compagnie Teatro da Cidade – Lisbonne, Maison de la Culture d’Amiens – Pôle européen de création et de production, Teatro Nacional Dona Maria II – Théâtre National de Lisbonne, Le phénix – Scène nationale de Valenciennes – Pôle européen de création, CRETA – Centre de création et d’expérimentation de Viseu, O Espaço do Tempo – Montemor-o-Novo Avec le soutien de DGArtes, dispositif du Ministère de la Culture portugais, l’Institut français dans le cadre de son programme Théâtre Export et du dispositif Institut Français + Région Hauts-de-France, Le dispositif I-Portunus – Programme Europe Creative de l’UE Résidences O Espaço do Tempo – Montemor-o-Novo, Les Plateaux Sauvages Paris
Projet labellisé saison France-Portugal 2022
Durée : 1h10
29 septembre au 10 octobre 2021 – Premières portugaises
Teatro Nacional D. Maria II, Lisbonne14 au 24 octobre 2021– Premières françaises
Théâtre de la Tempête, Paris22 – 25.02.2022 – Le Phénix, scène nationale Valenciennes pôle européen de création, Valenciennes (59)
26.03.2022 – Convento São Francisco, Coimbra (Portugal)
05 – 06.04.2022 – Maison de la Culture d’Amiens, Pôle européen de création et de production, Amiens (80)
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