Salutaire dans sa façon de révéler les préjugés raciaux, la démarche théâtrale de l’autrice, dirigée par Stéphane Foenkinos au Théâtre du Rond-Point, ne parvient à renouer avec la puissance de son précédent spectacle, Noire.
Tout commence avec l’apparition d’une majuscule qui, par le truchement de la grammaire, transforme ce qui aurait dû rester un adjectif en nom, et c’est ainsi que noir devient Noir. Ce glissement scriptural n’a rien d’un détail et s’impose même, aux yeux de Tania de Montaigne, comme le symbole d’un tournant, celui opéré par Arthur de Gobineau qui, au milieu du XIXe siècle, dans son Essai sur l’inégalité des races humaines, théorise le concept de races et divise l’espèce humaine en quatre catégories : les Noirs, les Jaunes, les Rouges et les Blancs. Loin d’être enterrée, l’idée a, au contraire, insidieusement germé et contribué à véhiculer des préjugés raciaux qui, sans même que les gens en aient toujours pleinement conscience, collent encore aujourd’hui à la peau, au propre comme au figuré, de ceux qu’ils concernent. Alors, dans son livre L’Assignation, qu’elle a décidé de porter à la scène avec son complice Stéphane Foenkinos, Tania de Montaigne tente de révéler ces biais pour mieux les jeter sous une lumière crue et, espère-t-elle sans doute, les voir disparaître, tels des vampires dissous par la lumière du jour.
Mue par la vraie-fausse volonté de « [se] souvenir du temps où [elle n’était] pas Noire, mais seulement noire, sans majuscule », l’autrice-conférencière fait rapidement face à un constat d’échec. Dès son plus jeune âge, elle raconte avoir essuyé ces préjugés raciaux, comme le jour où une coiffeuse refusa catégoriquement d’intervenir sur ses cheveux crépus au motif qu’elle « ne coiffe pas ça ». Au fil des anecdotes, comme autant d’exemples criants, c’est tout un pan du racisme ordinaire que Tania de Montaigne pointe du doigt, et fait remonter à la surface, avec la pertinence qu’on lui connait. Pour appuyer son propos, et montrer à quel point les préjugés raciaux ont, un temps, pu être véhiculés sans vergogne, elle n’hésite pas à diffuser de plus ou moins vieilles publicités télévisées – pour les biscuits Bamboula de St Michel ou pour le couscous Saupiquet – ou de vieux sketchs – La Zoubida de Vincent Lagaf – qui n’auraient, et c’est heureux, plus aucune chance d’avoir droit de cité de nos jours. Parmi eux, le numéro de Michel Leeb, « L’Africain », paraît le plus estomaquant : les yeux écarquillés, les dents bien en vue, avec l’accent de rigueur, il « joue » le fils de Bokassa, et coche, avec sa « performance », toutes les cases du bingo de la bêtise raciste la plus basse du front. Et, dans la salle du Théâtre du Rond-Point de 2021, l’ambiance, sidérée, n’a rien à voir avec celle, rigolarde, du plateau de « Champs Elysées » de 1983. Preuve, s’il en fallait une, que les mentalités ont bel et bien évolué.
Reste que, une fois cette phase de sensibilisation passée, on pouvait attendre de Tania de Montaigne qu’elle cherche à aller plus loin, à approfondir la réflexion au-delà de la surface que tout esprit un minimum averti a déjà pu toucher du doigt. Au lieu de cela, elle tente, à tout prix, d’échapper à une performance professorale et se focalise, à l’instigation, on peut le supposer, de Stéphane Foenkinos, sur une recherche de connivence avec le public, invité, de façon un peu légère, à expérimenter le fait « d’être Noir ». Théâtralement efficace par l’engouement qu’il suscite, le procédé paraît, malgré tout, un peu facile. Plutôt que de déconstruire les clichés, la comédienne se contente alors de les pointer du doigt pour mieux les tourner en ridicule. En se cantonnant aux préjugés attendus – la taille du sexe et des narines, les bananes, le rythme dans la peau –, elle se borne à une description empirique, qui manque de lest théorique, et véhicule, ce faisant, même si la démarche reste salutaire, une impression de superficialité.
Surtout, dans les dernières encablures de son propos, Tania de Montaigne semble placer, au débotté, un signe égal entre la bêtise raciste et la question de l’assimilation culturelle, qu’elle balaie, là encore, d’un revers de main moqueur, en prenant notamment appui, mais pas que, sur l’exemple de la chanteuse Katy Perry qui s’était excusée d’avoir repris, dans ses clips, des éléments de la culture afro-américaine. Sauf que l’une et l’autre ne procèdent pas du tout du même schéma intellectuel, n’ont pas les mêmes origines, et surtout pas les mêmes objectifs. Son universalisme pur et dur en bandoulière, l’autrice-conférencière ne cherche pourtant ni à argumenter, ni à ouvrir une discussion, mais simplement à tourner en ridicule une position qui n’est pas la sienne. Au vu des débats sociétaux actuels, une plus grande considération pour ce courant de pensée aurait, sans nul doute, été plus juste et plus fécond. Quoi qu’on en pense.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
L’Assignation
Texte Tania de Montaigne d’après L’Assignation (Editions Grasset)
Adaptation Tania de Montaigne, Stéphane Foenkinos
Mise en scène Stéphane Foenkinos
Avec Tania de Montaigne
Collaboration artistique Aymen Bouchon, Clara Choï, Florence Maury
Assistant à la mise en scène Pierre X. Garnier
Scénographie Laurence Fontaine
Lumières Claire Choffel-Picelli
Vidéo Pierre-Alain GiraudProduction Arnaud Bertrand – 984 Productions
Coproduction Théâtre du Rond-Point, Théâtre national de BretagneDurée : 1h20
Théâtre du Rond-Point, Paris
du 5 au 16 octobre 2021Théâtre national de Bretagne, Rennes
du 17 au 24 mai 2022
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