Premier spectacle de Mélina Martin, danseuse, comédienne et performeuse diplômée de l’École de la Manufacture (Lausanne) en 2016, OPA revisite l’histoire d’Hélène de Troie.
Rien à voir dans cet intitulé « OPA » avec le mot allemand signifiant « Papi » puisqu’il s’agit d’un terme grec. Exprimant la surprise ou l’étonnement, cette interjection qui est, également, fréquemment utilisée lors de cérémonies telles que les mariages, sonne comme un rappel des origines de Mélina Martin. Comme elle-même le précise, elle puise dans « [Sa] Grèce un matériau puissant et joyeux » pour explorer la vie d’Hélène, femme de Mélénas roi de Sparte, et dont l’enlèvement par Pâris déclencha la guerre de Troie.
Seule en scène, Mélina Martin est donc Hélène, celle considérée comme « la plus belle femme du monde ». Comme elle nous l’expose dans l’une des premières séquences du spectacle en nous regardant droit dans les yeux, trois versions de sa vie existent. Selon la première, Hélène est enlevée et violée par Pâris. Selon la deuxième, ensorcelée par Aphrodite, la femme tombe sous le charme de l’homme, et le suit de son plein gré. Selon la troisième, Aphrodite berne Pâris et exile Hélène en Égypte. Tout en partageant avec nous, spectateurs, ses interrogations, c’est le deuxième récit que décide de vivre sous nos yeux Hélène. Soit celui où elle ne subit pas de violences et est pleinement consentante. Sauf que la cérémonie du mariage débute, se prolonge, s’éternise, et que Pâris se fait diablement attendre… La variante romantique du mythe d’Hélène se révèle n’être qu’un miroir aux alouettes. OPA se clôt sur la chute terrible éprouvée par la jeune femme comme sur la mue que cet échec déclenche chez elle.
Ce parcours d’une femme enferrée dans le carcan d’une vision patriarcale, Mélina Martin nous le donne à voir autant qu’à ressentir. Avec pour seuls accessoires deux chaises, une robe de mariée et un micro, l’interprète nous tient par sa seule présence en haleine de bout en bout. Qu’il s’agisse de la séquence inaugurale – empreinte de délicatesse et de pudeur – où elle esquisse des pas de danse classique en tutu et pointes ; de l’exposition de « sa » vie d’Hélène narrée en grec et français, le passage d’une langue à l’autre se réalisant avec une rare fluidité ; de la fête de mariage où elle exulte toute entière séductrice et joyeuse ; où de son désespoir exprimé dans des chants allant vers les cris lorsqu’elle réalise que Pâris ne viendra peut-être pas, Mélina Martin fait preuve d’une même maîtrise, d’une grâce et d’une grande intensité de présence. D’une virtuosité, aussi, dans sa capacité à passer d’une émotion à l’autre, à susciter rire ou peine, comme à nous interpeller et de fait à partager avec nous ses réflexions sur sa condition de femme-objet. Aussi modeste formellement que soigné et pensé dans sa facture – ainsi de la création lumières de Léo Garcia qui épouse subtilement toutes les pulsations du spectacle –, OPA se révèle un spectacle percutant.
Si au sortir de la représentation, le propos peut sembler un peu léger en regard de la puissance rare d’interprétation, c’est sans doute qu’OPA est de ces œuvres qui méritent d’être infusées. Une fois dépassée la sidération suscitée par une telle performance, le parcours de cette Hélène contemporaine s’affirme bien comme un cheminement vers l’émancipation. Certes l’idylle avec Pâris n’est qu’une chimère, mais elle permet en se dissipant à Hélène de tourner « la tête et [voir] ce qu’il y a à côté ». Soit de déserter les schémas trop normatifs pour prendre des chemins de traverse, loin des conventions. Lorsqu’on sait que la formation initiale de Mélina Martin est la danse classique – séquence inaugurale du spectacle – l’on saisit alors la portée autobiographique de l’ensemble. Ainsi que l’évidence pour elle à incarner de manière organique et sensible ce cheminement vers la liberté.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
OPA
Conception et jeu Mélina Martin
Collaboration artistique Jean-Daniel Piguet
Création lumière et régie Leo Garcia
Administration et diffusion Marianne Aguado / Iskandar
Production Cie Room to Rent
Coproduction Arsenic – centre d’art scénique contemporain / PREMIO – prix d’encouragement pour les arts de la scène / Association gréco-suisse Jean-Gabriel Eynard
Soutien Pour-cent culturel Migros dans le cadre de PREMIOOff 2021
THÉÂTRE DU TRAIN BLEU
8 — 26 JUILLET / 18H35
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