Christoph Marthaler offre une partition taillée sur mesure à son complice et ami de toujours le comédien Graham F. Valentine qui s’illustre dans un formidable exercice de virtuosité.
Il n’y a évidemment pas à douter que Marthaler soit un des metteurs en scène les plus inventifs de son temps. Le titre anti-promotionnel et forcément trompeur de sa dernière pièce « Aucune idée » témoigne d’un esprit toujours blagueur et facétieux mais aussi d’un goût prononcé pour la lacune, le délitement, que le théâtre marthalerien aime tant explorer. Sans vraiment raconter d’histoires, la pièce donne plutôt à voir des situations, aussi furtives que profondément jouissives, impossibles à narrer, tant elles se présentent comme des instantanés parfois décousus, inexpliqués, insensés où l’on retrouve tous les ressorts comiques d’un univers très singulier.
La nouvelle proposition célèbre d’abord une amitié longue et fidèle entre deux artistes qui se connaissent depuis l’époque de leur adolescence et qui n’ont jamais cessé de travailler ensemble durant plus de 50 ans. Étudiant écossais, Graham F. Valentine débarque à Zurich dans les années 1960 et loge dans la petite pension tenue par la famille Marthaler. Le fils Christoph qui est encore un jeune artiste en formation, l’engage pour faire un numéro chanté en travesti quelque peu lascif et déshabillé dans un spectacle qu’il monte à l’occasion d’une fête paroissiale donnée dans le petit village de Wilchingen. Ce fut un énorme scandale. Depuis Graham F. Valentine suit un long compagnonnage artistique avec Marthaler en étant l’interprète de bon nombre de ses créations aussi bien sur la scène théâtrale que lyrique à travers l’Europe.
Le comédien partage la scène avec le musicien Martin Zeller dont l’inlassable travail du Prélude de Tristan et Isolde de Wagner à l’aide d’un vieux magnétophone grippé colore la pièce à plusieurs reprises d’une bouleversante tonalité saturnienne aussitôt contrecarrée par le rire. Leur cohabitation prend place dans l’espace impersonnel d’un vulgaire couloir où s’alignent plusieurs paliers et où les portes s’ouvrent et se claquent intempestivement comme au vaudeville, des portes derrière lesquelles se cachent bien des mystères quand ceux-ci ne se nichent pas dans un radiateur vétuste et peu avare en borborygmes, dans un compteur électrique capricieux ou dans une boîte aux lettres qui râle des insanités ordurières ou regorge et recrache d’encombrants prospectus commerciaux et de Bibles au format de poche.
Les interprètes se présentent comme deux énergumènes ectoplasmiques, à la présence lunaire. Ils sont voisins, peut-être amis, suffisamment intimes pour fêter ensemble l’anniversaire de l’un d’eux ou se dépanner lorsque l’un vient à manquer en denrées alimentaires. Vêtu d’un costume étriqué au chic d’un autre âge, Graham F. Valentine se fait le soliste d’une partition exigeante qui lui donne l’occasion de montrer toute l’étendue et l’acuité de son talent. Le tissu textuel et musical cousu à partir de textes de Perec, de Michaux, de Schubert, de Baudelaire mis en musique par Léo Ferré entre autres sources d’inspiration est aussi fabuleux que périlleux. L’acteur joue et chante en plusieurs langues, épate de bout en bout, notamment lorsqu’il s’attaque aux ostentations verbales et rythmiques qu’impose la poésie sonore de l’artiste dadaïste Kurt Schwitters, un passage qui rappelle la relecture foutraque et jubilante de My fair lady transplantée dans un curieux Sprachlabor.
Une fois de plus, Marthaler parvient à rendre intrigante et intranquille l’existence lénifiante qu’il dépeint avec loufoquerie et subversion puisque son apparente banalité se voit aussi bien étrangéisée que poétisée.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Aucune idée (titre provisoire)
Création juin 2021Conception et mise en scène
Christoph Marthaler
Avec
Graham F. Valentine,
Martin Zeller
Scénographie
Duri Bischoff
Dramaturgie
Malte Ubenauf
Musique
Martin Zeller
Costumes
Sara Kittelmann
Assistanat à la mise en scène
Camille Logoz
Floriane Mésenge
Production
Marion Schwartz
Construction décor et accessoires
Ateliers du Théâtre Vidy-LausanneProduction
Théâtre Vidy-Lausanne
Coproduction
Festival d’Automne
Théâtre de la Ville, Paris
Temporada Alta, Festival international de
Catalunya Girona/Salt
TANDEM Scène nationale
Napoli Teatro
Festival Maillon, Théâtre de Strasbourg,
scène européenne
Avec le Soutien de
Pro Helvetia, Fondation Suisse pour la Culture
Fondation Françoise Champoud
Avec les équipes de production, technique, communication & publics et administration du Théâtre VidyLausanneDurée estimée 1h20
Théâtre des Célestins – Lyon
du 12 au 15 avril 2022TNN Nice
du 24 au 26 mars 2022
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !