Au Festival d’Avignon, Lola Lafon et Chloé Dabert portent modestement à la scène Le Mur invisible de Marlen Haushofer en s’attachant à ce récit qui fait entendre l’expérience étrange et extrême d’une femme coupée du reste de l’humanité.
Dans ses livres, les héroïnes sont souvent marquantes et au centre. Mais Lola Lafon a choisi de faire entendre les mots d’une autre écrivaine, Marlen Haushofer, qui en Autriche, puis en France, a connu un certain succès, est tombée dans l’oubli, avant de réapparaître, ces dernières années, dans le contexte inédit des confinements successifs, notamment avec Le Mur invisible, son plus célèbre roman, et sans doute le plus troublant, écrit et paru dans les années 1960 pendant la guerre froide.
La narratrice de ce texte, une femme d’une quarantaine d’années, mère et épouse, issue de la bonne société, se retrouve inexplicablement isolée, séparée du reste du monde par un grand mur invisible soudain érigé autour d’elle. Le divorce forcé entre cette individue et le monde questionne, perturbe, car il provoque chez le personnage, comme chez le lecteur ou le spectateur, une totale prise de conscience de l’inéluctable. De ce mur, l’héroïne ne cherche d’ailleurs pas à se défaire, à se défendre, mais se résigne plutôt à accepter et supporter l’impossibilité de s’en échapper. Elle le porte en elle et finit par se laisser transformer.
Son nouvel environnement est celui de la forêt. Sur l’estrade de la Cour du Musée Calvet, une étroite cabane forestière, éclairée de lumières nuitées, se présente comme une sorte de « chambre à soi » pour paraphraser Virginia Woolf que partagent, sans vraiment se rencontrer, Lola Lafon, assise à table, qui lit, écrit, le journal intime de la narratrice, et la violoncelliste Maëva Le Berre. Autour d’elles, la pleine nature, la vie sauvage, animale et végétale, l’immensité, l’hostilité se laissent deviner par les descriptions évocatrices du roman, mais ne sont pas scéniquement illustrées.
Prisonnière de sa solitude, mais affranchie de la société, l’héroïne vit une périlleuse et singulière libération. Pourtant, la force vitale et salvatrice du roman et son bouleversant élan survivaliste peinent à se faire entendre dans la transcription soignée, sensible, sincère, mais trop étale et invariante, et sans l’abstraction nécessaire, que font Chloé Dabert, directrice de La Comédie de Reims, et Lola Lafon. Le travail de la première passe pour presque inexistant tant il manque de point de vue et de propositions. Lola Lafon, qui n’est pas comédienne, fait preuve de finesse et d’émotivité, mais se trouve mise en difficulté, car inconfortablement à cheval entre la lecture et l’incarnation, au point de se présenter, comme son personnage, enfermée et livrée à elle-même.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Le Mur invisible
Texte Marlen Haushofer
Traduction Liselotte Bod et Jacqueline Chambon
Mise en scène Chloé Dabert
Avec Lola Lafon, Maëva Le Berre (violoncelle)
Scénographie, lumière Marianne Pelcerf
Musique Maëva Le Berre
Collaboration artistique Zoé Lizot
Assistant à la mise en scène Alexis MullardProduction La Comédie, Centre dramatique national de Reims
Durée : 1h05
Festival d’Avignon 2021
Cour du musée Calvet
du 21 au 23 juilletComédie de Reims
du 25 septembre au 1er octobreTournée en itinérance en région Champagne-Ardenne
du 22 novembre au 4 décembre
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