Dans De toute façon, j’ai très peu de souvenirs, Eric Louis demande aux comédiens de l’ERACM et de l’ENSATT de prendre en charge les témoignages d’anciens élèves de l’école du Théâtre national de Chaillot créée, à la fin des années 1980, par le défenseur du « théâtre élitaire pour tous ». Quitte à les jeter, un peu vite, dans le grand bain.
Cécile Backès, Stéphane Braunschweig, Yann-Joël Collin, Claude Duparfait, Yves-Noël Genod, Anne Kessler, Arthur Nauzyciel… Parmi les élèves-comédiens de la promotion 1987-1989 de l’éphémère école Antoine Vitez, créée lorsque l’artiste se trouvait à la tête du Théâtre national de Chaillot, beaucoup ont pesé, ou pèsent encore, dans le monde théâtral d’aujourd’hui. A l’occasion du trentième anniversaire de la mort du grand maître, Éric Louis, également membre de ce glorieux groupe, a décidé de collecter les témoignages de ses anciens camarades. Beaucoup se sont prêtés au jeu et ont livré leurs souvenirs, aussi intimes que scolaires, au metteur en scène qui a, par la suite, au vu de leur richesse, choisi de les confier à des élèves-comédiens issus de l’École régionale d’acteurs de Cannes et Marseille (ERACM) et de l’École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre (ENSATT) de Lyon. Tel un beau, et pertinent, passage de témoin.
De ces bribes de scolarité, dûment anonymisées, voire reformatées, est né De toute façon, j’ai très peu de souvenirs, présenté lors de la 75e édition du Festival d’Avignon. Une fois assemblés, cette trentaine de témoignages dressent, en creux, le portrait d’Antoine Vitez, dans son versant plus pédagogique qu’artistique. S’esquissent les manières d’enseigner d’un metteur en scène qui, en plus du sacro-saint texte, plaçait l’acteur au centre de tout ; qui, en demandant simplement à l’un de ses élèves de traverser la diagonale du plateau, sur la pointe des pieds et en levant par intermittence les bras, lui faisait sentir l’influence du corps sur son jeu ; qui, malgré sa très grande exigence, se servait, pour convaincre, de sa face la plus humaine. Du côté des anciens disciples, devenus témoins, transpire la fascination, voire l’adoration, pour un maître qui, malgré les trente années qui se sont écoulées, n’a rien perdu, à leurs yeux, de sa superbe, qui, surtout, leur a donné des armes suffisamment affûtées pour affronter le milieu du théâtre dans ce qu’il peut avoir de plus âpre.
Au-delà de cette dimension, largement hagiographique, le texte d’Eric Louis s’arrête aussi sur les turpitudes des anciens élèves-comédiens, dans lesquelles ceux de l’ERACM et de l’ENSATT peuvent, à n’en pas douter, largement se reconnaître. Transparaissent alors les fantasmes évanouis d’un métier qui en génère de façon consubstantielle, les incertitudes aussi qui, progressivement, se font jour, lorsque l’une ou l’autre ne trouve pas, ou plus, sa place dans le groupe, ou en vient à tout remettre en cause après un cours moins heureux que le précédent. Histoire de préserver l’aspect le plus vivant de ces témoignages, le metteur en scène en a judicieusement conservé l’oralité, façon de protéger leur fragilité et leur authenticité, et de les conjuguer, immédiatement, au présent. Une fraîcheur qui se retrouve, à l’avenant, dans la prestation de chaque comédien. Toujours sous le regard de la troupe, qui les enveloppe de sa bienveillance, Eléonore Alpi, Ligia Aranda Martinez, Maxime Christian, Ioachim Dabija, Adrien Françon, Mélina Fromont, Katell Jan, Heidi Johansson, Benoit Moreira Da Silva, Léonce Pruvost, Lola Roy et Quentin Wasner-Launois s’avancent, à tour de rôle, pour prendre en charge la parole de l’un de leurs anciens homologues. Comme le veut la tradition du spectacle d’école, chacun a son moment pour se distinguer aux yeux d’un public avec qui de touchants échanges sont instaurés, faisant fi de tout quatrième mur.
Sauf que, malgré son engagement empreint de douceur, le groupe – malheureusement un peu moins diversifié que ceux du Théâtre national de Strasbourg ou du Théâtre national de Bretagne – ne paraît pas suffisamment soutenu par la direction d’acteurs d’Éric Louis qui accouche, nonobstant la force de certains témoignages, d’un ensemble un peu trop lisse, un peu trop sage. Sans démériter, les élèves-comédiens semblent largement livrés à eux-mêmes, au centre de ce plateau quasi nu, et tous doivent rivaliser d’inventivité pour tenter de briser un rythme qui, s’il restait en l’état, pourrait devenir lassant par son aspect intrinsèquement répétitif. Pour cela, ils s’essaient à des numéros individuels, souvent drôles et potaches, mais aussi à des gestes collectifs qui font mouche par la force qu’ils dégagent, à l’instar de la photo de classe façon musée Grévin ou des instants musicaux – au rythme de Mylène Farmer ou d’Émile & Images – et qui, en dépit de quelques maladresses vocales, produisent de beaux moments, capables de transformer le collectif d’individus en véritable troupe. Mais, là encore, Éric Louis peine à laisser ces jolis fragments se déployer totalement et les coupe dans leur élan, avant même qu’ils n’aient réussi à produire tous leurs effets. Comme s’il ne voulait pas prendre le risque que les témoignages soient relégués au second plan, comme s’il ne souhaitait pas, au fond de lui, que les jeunes, en se juchant sur leurs épaules, dament le pion aux anciens.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
De toute façon, j’ai très peu de souvenirs
Texte et mise en scène Éric Louis
Avec Éléonore Alpi, Ligia Aranda Martinez, Maxime Christian, Ioachim Dabija, Adrien Françon, Mélina Fromont, Katell Jan, Heidi Johansson, Benoit Moreira Da Silva, Léonce Pruvost, Lola Roy, Quentin Wasner-Launois
Lumière Nanouk Marty, Alice Nedelec, Jasmine Tison
Son Pierre-Étienne Guillem
Costumes Noé Quilichini
Travail vocal Jeanne-Sarah Deledicq
Assistanat à la mise en scène Clémentine VignaisCoproduction École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre (Lyon), École régionale des acteurs de Cannes et Marseille
Avec le soutien de la compagnie La Nuit surprise par le JourDurée : 1h45
Festival d’Avignon 2021
Gymnase du Lycée Saint-Joseph
du 15 au 18 juillet
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