Les lieux culturels vont rouvrir à partir de mercredi. Avec quel public ? La vlogueuse Marie Coquille-Chambel, via ses réseaux sociaux, a demandé à des étudiant.e.s s’ils avaient les moyens de prendre des places en ce moment. 65% des jeunes sondés répondent par la négative. D’où cette tribune qu’elle a écrite, à l’intention des directeur.ice.s de théâtres.
Les théâtres rouvrent enfin, après une longue mise à l’arrêt, après une longue attente des spectateur.ice.s, tous et toutes impatient.e.s de vous retrouver. Seulement voilà, certain.e.s des habitué.e.s de vos salles ne peuvent plus venir voir vos spectacles. Il ne vous aura pas échappé que de plus en plus d’étudiant.e.s ont recours aux repas à 1 euro, se privent de manger, abandonnent leurs études, ne peuvent plus payer leurs loyers et sont obligés de rentrer chez leurs parents. Alors comment retourner au théâtre dans ces conditions ?
Dans sa Déclaration pour la réouverture de tous les établissements culturels recevant du public, signée par des maires, des élus et députés, le Syndeac écrit le 17 février 2021 : “Parce que la culture est essentielle au maintien des liens sociaux et à la lutte contre l’isolement, notamment pour celles et ceux qui sont les plus fragiles et souvent premières victimes de la crise sanitaire (jeunes, personnes âgées, étudiants), nous demandons au Gouvernement de rouvrir tous les établissements culturels sans exception”.
Les étudiant.e.s ont en effet le désir de retrouver vos salles et semblent ne pas faire partie du plan de réouverture des lieux culturels. Nous méritons mieux qu’une instrumentalisation politique justifiant la réouverture de ces lieux. Après plus d’un an à estimer la culture essentielle, pourquoi est-elle aujourd’hui un outil d’exclusion sociale ? Sommes-nous encore dans la pensée d’un théâtre comme lieu de distinction et de signe extérieur de richesse ?
Sur 130 personnes sondées sur instagram, 64% disent ne pas pouvoir s’acheter une place de spectacle pour mai ou juin. Sur 143 personnes sondées sur Twitter, 66% disent ne pas pouvoir s’acheter une place de spectacle pour mai ou juin. Il ne s’agit pas d’un public à conquérir, d’un public qui ne connaît pas le théâtre. Il s’agit de futur.e.s comédien.ne.s, d’étudiant.e.s en lettres, en art ou en théâtre. Il s’agit de votre public habituel qui n’a plus les moyens de venir vous voir.
Dans une tribune appelant à lever les occupations des lieux de culture, certaine.e.s d’entre vous ont écrit : “Aujourd’hui, la réouverture au 19 mai est acquise et nous, directeurs et directrices de théâtres publics occupés, souhaitons rouvrir nos lieux, redonner aux artistes la possibilité d’exercer leur art, et aux spectateurs et spectatrices celle de nourrir leur vie d’autre chose que de leur vie familiale, professionnelle, ou parfois de leur solitude. Nous voulons et nous devons remplir la mission de service public qui nous a été confiée et pour laquelle nos établissements reçoivent des subventions.”
Lorsque l’inquiétude du milieu culturel concernait l’absence de nourriture spirituelle pour les spectateur.ice.s, les étudiant.e.s et précaires s’inquiétaient de ne pas pouvoir manger, au sens le plus littéral qui soit. Alors comment retourner au théâtre dans ces conditions ? Ne pas prendre en considération le manque de moyens de spectateur.ice.s relève d’une entrave à la pensée d’un théâtre comme service public.
Ces derniers temps, de nombreux et nombreuses intermittent.e.s ont montré leur solidarité envers les plus précaires d’entre nous, chômeur.euse.s ou étudiant.e.s, pour ne prendre que ces exemples. Il en va du devoir des directions de théâtre de prendre au sérieux l’enjeu social et politique des démarches des occupant.e.s, de renouer avec une partie des spectateur.ice.s exclu.e.s de vos théâtres en raison de la crise sanitaire et de la crise sociale qui émerge.
Suite à mes sondages sur mes différents réseaux sociaux, plusieurs étudiantes en théâtre m’ont écrit : “Alors certes en tant qu’étudiante je n’ai pas forcément les moyens de me payer des places de théâtre… Et pourtant je fais des études dans le théâtre, à la fac et au conservatoire donc je suis obligée d’y aller et j’ai ce besoin vital de vouloir voir des pièces ! Car le théâtre me manque tellement ! Donc forcément je mets mes économies pour des spectacles et je me dis que c’est pour mon bonheur, pour être heureuse quitte à ne pas manger”. Doit-on se sacrifier pour avoir accès au théâtre ? “Clairement y a pas plus de moyens financiers qu’après les autres confinements… c’est super triste de me dire qu’en tant qu’étudiante en théâtre je n’y suis allée qu’en me faufilant à des représentations pour la presse et ça grâce à des pistons”. Doit-on être intégrés au milieu théâtral pour avoir des places abordables ? Doit-on continuer cet entre-soi que l’on condamnait déjà avant les répercussions de la crise sanitaire ? “Je sais que je vais devoir réduire le budget nourriture pour aller au théâtre parce que c’est ma priorité et ma vie, surtout sur les deux mois à venir…” Doit-on se priver de nourriture pour aller au théâtre ?
Parce qu’un billet de théâtre à 15 euros équivaut à la moitié d’un mois de dîners des étudiant.e.s les plus précaires, nous vous demandons de penser à la gratuité et à l’accessibilité des tarifs de vos lieux de culture. Cette gratuité avait été mise en place par le Théâtre de l’Odéon et par le Théâtre de la Criée à la sortie du premier confinement, cette action est à saluer et doit être remise en place en ces temps de crise sociale et sanitaire. La précarité économique étudiante est aussi une précarité culturelle.
Savoir à qui s’adressent les spectacles que vous programmez, savoir qui sont les spectateur.ice.s qui ont la possibilité de voir vos spectacles est une question politique.
Parce que l’accessibilité au théâtre ne doit jamais être une question financière ou économique, parce que le théâtre ne doit plus être un lieu réservé aux plus privilégiés, nous vous demandons des actions claires en faveur des étudiant.e.s et des personnes précaires.
Marie Coquille-Chambel
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