Le Théâtre national de Strasbourg est bel et bien fermé, mais son Ecole reste active, grâce à un dispositif adapté. Entre soif de théâtre et chape de plomb globale, les élèves essaient de trouver leur voie.
Les portes du Théâtre national de Strasbourg (TNS) ne sont pas tout à fait closes. Alors que la mythique salle Koltès, qui devait accueillir ces jours-ci le Dekalog de Julien Gosselin, reste désespérément plongée dans le noir, les étages bruissent de cette rumeur propre aux maisons en ébullition. Moins du côté des bureaux, vidés pour la plupart de leurs occupants placés en télétravail, que du côté de l’Ecole où les élèves des promotions 46 et 47 peuvent continuer à se former. « Dans cette période si particulière où aucun spectacle ne peut avoir lieu, elle constitue l’un de nos derniers poumons », résume le directeur des lieux, Stanislas Nordey.
Au long des couloirs en forme de dédale, un jeune comédien fait les cent pas, regard pensif et texte en main, pendant qu’une de ses camarades, attablée dans l’atelier de couture, confectionne des affiches de propagande. Comme si, au fond, rien n’avait changé, ou presque. Pour garantir cette continuité pédagogique et satisfaire aux injonctions sanitaires, la directrice des études, Dominique Lecoyer, a dû procéder à quelques ajustements. Dédoubler tel groupe de travail, avancer de plusieurs mois tel atelier d’écriture, transformer les rencontres avec Gwenaël Morin, Marie-Christine Soma, Séverine Chavrier ou Alain Françon en masterclasses à distance… « Quels que soient leur âge et leurs pratiques, les intervenants jouent le jeu, assure-t-elle. Ils ont bien compris l’importance que cela avait pour les élèves. »
De Monique Wittig à Tiago Rodrigues
Grâce à cette organisation hybride, en vigueur depuis novembre dernier, les étudiants du TNS peuvent, contrairement à bon nombre de leurs homologues, bénéficier de cours en présentiel et ne pas se contenter du système D mis en place durant le premier confinement. « Cette période fut rageante car, du jour au lendemain, nous nous sommes retrouvés enfermés chez nous avec moins de temps d’apprentissage, se souvient Foucault De Malet, élève régisseur-créateur du groupe 46. Malgré tout, des solutions ont pu être trouvées et nous avons pu continuer à avancer. » Le formateur en machinerie-construction, Bernard Saam, a par exemple déposé des polichinelles en kit chez chacun des élèves, quand le formateur son-vidéo, Grégory Fontana, a fait tourner un colis avec des micros qu’ils ont réussi – « miraculeusement », plaisante-t-il – à se faire passer. « Aujourd’hui, tout cela est derrière nous puisque, sous forme de service technique le matin ou de répétitions l’après-midi, les projets se font », se réjouit l’étudiant.
Des projets qui, même s’ils resteront privés de public, sont menés avec un professionnalisme à l’identique. Depuis le couloir, on entend la fureur de l’atelier conduit par Lazare alors que, dans une autre salle, Mathilde Delahaye demande à Gulliver Hecq de se mettre à la batterie pour accompagner la rencontre de ses camarades avec un bel espace scénographique, fait de cuir déchiqueté, de néons à la verticale et d’épaisse fumée. Pour sa première collaboration en tant qu’intervenante au TNS, où elle a été formée, la jeune metteure en scène leur a mis entre les mains deux textes de choix : Catarina et la beauté de tuer les fascistes de Tiago Rodrigues et Les Guérillères de Monique Wittig. « Au début, je voulais réaliser un film, mais la situation nous a obligés à rebattre les cartes, précise-t-elle. Face à eux, je me suis présentée comme une metteure en scène, et non comme une pédagogue, qui allait travailler comme telle. » A ceci près qu’elle a dû réenvisager certaines des méthodes auxquelles elle avait pensé. « J’avais balisé un chemin fait d’improvisations cadrées afin de stimuler la liberté de l’acteur et qu’ils éprouvent le plaisir de se prendre un mur, sauf que ça n’a pas pris et que j’ai dû changer de bord », raconte-t-elle.
A domicile ou en itinérance
Dans la pièce d’en face, Françoise Bloch déroule. Pour la troisième année de suite, la metteure en scène belge demande aux élèves-comédiens fraîchement arrivés de choisir une scène du documentaire de Raymond Depardon Délits flagrants et de la rejouer avec le plus de fidélité possible. « Mon objectif est de les confronter à un peu plus de réel, qu’ils s’intéressent, à la loupe, aux comportements, aux physiques, qu’ils expérimentent des rapports différents à la langue, explique-t-elle. Si on observe le réel minutieusement, on se rend compte qu’il y a une diversité formelle, à tous points de vue, plus importante que dans le théâtre. Se l’approprier permet de découvrir de nouveaux biorythmes, au niveau de la voix et de la respiration, par exemple ». Un défi que les étudiants du groupe 47 relèvent avec panache, qu’ils soient magistrat ou accusé.
Pendant ce temps, certains élèves-metteurs en scène se permettent d’exporter ce théâtre, devenu si rare, à l’extérieur des murs de l’école. Alors qu’Antoine Hespel se prépare à rejoindre Vire où il travaillera avec deux comédiens permanents du Préau sur Toutes leurs robes noires de Claudine Galea pour le jouer ensuite, en itinérance, dans quatre villages du bocage normand, TI revient tout juste de Colmar où il a pu profiter d’une expérience similaire grâce à son adaptation de deux nouvelles du recueil de Guka Han, Le jour où le désert est entré dans la ville. « Pendant une semaine, nous avons pu jouer, jusqu’à deux ou trois fois par jour, dans des collèges, des lycées, et même dans un espace de co-working avec des auto-entrepreneurs, s’enthousiasme-t-il. J’ai choisi ce texte lors d’une balade chez Gibert Jeune, juste après le premier confinement, et, dans sa façon d’entremêler les solitudes, il s’applique, au-delà de son titre, à ce qu’on vit et a résonné très fortement auprès des scolaires et des équipes éducatives. »
Le Covid-19, ennemi latent
Malgré ses allures d’îlot privilégié dans la tempête que traverse actuellement le monde du spectacle vivant, l’Ecole du TNS n’échappe pas à la réalité, et à la menace, du Covid-19. « Lorsque nous sommes au travail, nous n’y pensons pas, mais une micro-étincelle peut tout faire flamber, relate Françoise Bloch en faisant référence aux cas contacts en série venus percuter le premier trimestre. Je sens une tension et une urgence moins fortes, sans doute due à l’absence de présentation finale aux spectateurs, mais j’observe aussi un gros appétit car nous vivons toujours une journée de travail comme si c’était la dernière. »
Elève-metteur en scène du groupe 47, et assistant de Mathilde Delahaye, Ivan Marquez regrette, quant à lui, de ne pas pouvoir davantage partager le quotidien des compagnies qui, en temps normal, habitent le théâtre et squattent son café, notamment les soirs de représentation. « Même si j’ai bien conscience d’avoir plus de chance d’être au TNS maintenant que d’être intermittent, c’est une partie des apports de la formation qui tombent », regrette-t-il. Et Mathilde Delahaye d’enchérir : « Quand on est en atelier, aller à la taverne après les répétitions a un rôle artistique. Là, à 20 heures, il faut que tout le monde soit parti. Nous faisons un métier où l’on travaille l’humain, l’humeur et le contexte comme des matériaux permanents. En arrivant, j’ai immédiatement ressenti que quelque chose était abîmé dans ces promos et qu’il leur fallait déployer une énergie sur-ordinaire. » Espérons qu’elle puisse les aider à se réparer.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
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