Parmi les douze établissements supérieurs de théâtre, l’Ecole Supérieure de Comédiens par l’Alternance est le seul à ne pas former des élèves-comédiens, mais des apprentis-comédiens. Un projet unique dont Tatiana Breidi et le metteur en scène Paul Desveaux viennent de prendre les commandes.
Au Studio Asnières, où l’Ecole Supérieure de Comédiens par l’Alternance (Esca) est installée, de jeunes acteurs s’apprêtent, en cet après-midi de janvier, à répéter Roméo et Juliette, sous le regard attentif de leur metteur en scène et nouveau co-directeur Paul Desveaux. Rien que de très classique, en somme, dans une école de théâtre, à ceci près que les comédiens au plateau n’ont pas le même statut que leurs homologues du Conservatoire, de l’Ecole du TNS, du TNB ou de la Comédie de Saint-Etienne. Eux ne sont pas élèves, mais apprentis, et travaillent en même temps qu’ils se forment, selon la logique voulue par les deux fondateurs de l’Esca, Jean-Louis Martin-Barbaz et Hervé Van der Meulen. « En moyenne, chaque élève aura sept employeurs pendant son cursus en dehors du Studio, précise sa co-directrice, Tatiana Breidi. Les expériences sont très diversifiées et vont de la compagnie émergente au théâtre d’entreprise, en passant par le théâtre privé et les CDN avec qui nous avons noué des partenariats. » Ces dernières années, certains ont par exemple pu se produire avec Zabou Breitman, Catherine Hiegel, Faustine Noguès ou encore Joris Lacoste, quand ils ne jouent pas directement avec leur propre compagnie.
Au total, ils sont 44 apprentis, répartis en trois promotions, à profiter de ce système unique dans le cercle restreint des douze établissements supérieurs de théâtre français. En plus du diplôme national supérieur professionnel (DNSP) de comédien et de la licence Etudes théâtrales de l’Université Sorbonne-Nouvelle qu’ils obtiendront après leurs trois années de formation, ils sont, tout au long de leur parcours et dès la signature de leur contrat d’apprentissage, rémunérés, ce qui, par les temps qui courent, est plus qu’apprécié. « Grâce à ce salaire, versé tous les mois, pendant trois ans, nos apprentis sont moins touchés que d’autres par la précarité, estime Paul Desveaux, lui-même ancien de l’école. Surtout, ce système permet à tout le monde de venir, y compris ceux qui, pour des raisons financières, ne pouvaient pas faire d’études supérieures. » Et la formule a du succès. Cette année, alors que le Conservatoire n’organise aucun concours, l’Esca s’attend à un millier de candidatures pour une quinzaine de places seulement.
50/50
Au-delà de ce filet de sécurité financier et des stages dirigés par des intervenants de choix, tels Christine Letailleur, Jean-François Auguste, Jean-Louis Benoit, Guy-Pierre Couleau ou Etienne Pommeret, les apprentis-comédiens bénéficient d’un accompagnement individualisé vers le monde professionnel. « Nous les aidons, notamment, à négocier leurs contrats, à préparer leurs auditions, mais aussi à réaliser leur projet, détaille Tatiana Breidi. L’idée est vraiment que ces comédiens apprennent à devenir moteur de leur histoire. » Une passerelle vers la réalité du métier qui a séduit Kim Vershueren et Thomas Rio, actuellement en deuxième année. Après leurs parcours respectifs au Conservatoire de Rouen et au Cours Florent, l’un comme l’autre voulaient poursuivre leur formation, tout en travaillant en parallèle. « Le 50/50 organisé par l’Esca nous permet justement de rencontrer le vrai milieu professionnel, dans toute sa difficulté, tout en bénéficiant du soutien d’une famille de théâtre », assure Kim Vershueren.
Et Thomas Rio d’abonder : « On apprend vraiment à se prendre en charge et à vivre dans la réalité. On a l’impression de déjà faire notre métier, de ne pas être simplement des « élèves » qui assistent à des « cours ». Les stages sont plutôt des moments de rencontres, couplés à du travail à l’extérieur. » Des rencontres qui peuvent parfois déboucher sur des contrats, comme ce fut le cas pour Kim Vershueren avec Joris Lacoste, et servir à garnir un carnet d’adresses, très précieux pour le futur. « En plus, nous avons des auditions tout le temps car nous sommes moins chers que de nombreux comédiens, ce qui multiplie encore les contacts », glisse l’apprentie. De quoi faciliter leur insertion professionnelle et leur permettre de marcher dans les pas de ceux qui, comme Julie Bertin, Jade Herbulot, Lorraine de Sagazan et Igor Mendjisky, les ont précédés.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
En revanche, c’est triste à dire, mais pour avoir vu 3-4 spectacles comptant des comédiens y étant passés, on sent que l’ESCA accueille les refoulés des écoles nationales supérieures plus renommées mais qui veulent absolument obtenir leur DNSPC histoire de valoir quelque chose dans ce petit milieu. À chaque fois, le jeu était un peu « cheap » et dénué de substance et à force, je n’étais plus surpris d’apprendre que les concernés sortaient de l’ESCA par la suite. On peut aussi se douter que l’école accueille des élèves attirés par ce système d’alternance parce qu’ils ne peuvent pas être soutenus financièrement par leurs parents pendant des études qui occupent 90% voire 99 % de leur temps. Donc la question demeure encore et toujours, partout, tout le temps : quand est-ce que les moins bien lotis bénéficieront de la même qualité d’enseignement que les plus favorisés et arrêteront d’être enfoncés par/dans leur propre situation ? C’est insupportable 🙂