Tout juste arrivé à la tête de Nanterre-Amandiers, le metteur en scène détaille son projet très ancré sur le territoire. Pour surmonter les défis qui l’attendent, des travaux à l’équation économique en passant par la diversité des publics, il pourra compter sur quatre artistes associés de choix : Tiphaine Raffier, Anne-Cécile Vandalem, Julien Gosselin et Joël Pommerat.
Après le Théâtre du Peuple, le Théâtre Gérard-Philipe et le Théâtre du Nord, pourquoi avoir voulu prendre la direction de Nanterre-Amandiers ?
Christophe Rauck : Lorsque j’ai appris que Philippe Quesne partait et que les travaux de rénovation allaient se faire, je me suis dit qu’il serait intéressant d’entrer dans ce lieu emblématique par ce biais-là, de pénétrer, en quelque sorte, dans la grande histoire de cette institution par la petite porte. Ce projet de rénovation est, à mes yeux, une façon de tourner la page, d’ouvrir un nouveau chapitre, après quarante ans d’aventures qui, notamment à partir de Patrice Chéreau, ont fait des Amandiers ce qu’ils sont aujourd’hui.
Pour autant, après sept années passées à sa tête, me résoudre à quitter le Théâtre du Nord était difficile. Je pensais sincèrement aller au terme de ces trois mandats qui m’ont tant nourri sur les plans artistique et humain. Lors de la création de La Faculté des rêves, il y a quelques mois, tout s’est si bien passé que j’ai même cru, à un moment, que je n’allais pas réussir à écrire un projet pour Nanterre. Et puis le premier confinement est arrivé, ce spectacle n’a pas pu partir en tournée, et j’ai finalement eu le temps et la tranquillité suffisante pour me mettre au travail et imaginer de nouvelles choses.
Les travaux à venir ont suscité une vive inquiétude au sein de l’équipe des Amandiers en début d’année dernière. Comment allez-vous gérer cette période délicate ?
Comme la plupart des choses sont déjà décidées, nous allons suivre le mouvement, tout en gardant un oeil sur la maîtrise d’ouvrage, en étroite collaboration avec la Ville et l’architecte. Le déménagement devrait commencer à la fin du mois d’avril, les travaux en juin-juillet et le théâtre provisoire ouvrir ses portes, dans l’actuel atelier, au mois de septembre. Si la question des bureaux, qui seront aménagés dans la tour juste en face du théâtre, est résolue, celles de l’atelier et de la salle de répétitions restent en suspens et devront être rapidement réglées. En principe, cette rénovation d’ampleur devrait prendre deux ans ou deux ans et demi. Ce geste architectural apporte aux Amandiers bien plus que de nouveaux costumes. Il y aura une salle en plus, des logements, une salle de répétitions, une librairie flambant neuve, et même un nouveau sens de circulation avec une entrée par le bas où se situera le restaurant.
Votre projet est-il taillé pour ce nouvel espace ?
Ce que j’aime avec les CDN, c’est leur inscription sur un territoire. Cela oblige à travailler avec le passé et l’histoire du lieu, mais aussi avec ceux du territoire où il est implanté. J’ai forcément un vécu de directeur de théâtre, mais l’expérience est à chaque fois nouvelle car l’histoire est différente. Pour moi, Nanterre-Amandiers est le théâtre d’une ville, mais aussi un théâtre du Grand Paris. L’envisager ainsi me permet de sortir de la question de la concurrence qui est assez présente entre les théâtres parisiens. Plutôt que de rentrer dans une logique d’écuries, où chacun a ses poulains qu’il programme et prête aux autres, de tout faire pour trouver une pépite dans une mine d’or, je veux transformer la concurrence en émulation et ne pas restreindre la programmation à un entre-soi qui correspondrait uniquement à mon univers artistique.
C’est pour cela que vos artistes associés participeront, à tour de rôle, à l’élaboration de la programmation ?
La proposition de compagnonnage que j’ai faite à Tiphaine Raffier, Anne-Cécile Vandalem, Julien Gosselin et Joël Pommerat, au-delà de leurs créations respectives, va nous permettre d’être plus curieux, de faire bouger les lignes esthétiques, d’explorer de nouveaux territoires. En tant que directeur et metteur en scène, l’enjeu est de développer un projet artistique en restant ouvert aux autres. Il faut avoir conscience qu’à l’échelle individuelle nous restons petits dans notre tête, que le théâtre est beaucoup plus grand que nous. Pour réussir à aller à l’extérieur de nous-mêmes, nous devons impérativement travailler ensemble.
Diriger un théâtre de banlieue impose un défi de taille : faire venir les spectateurs parisiens, mais aussi le public local. Comment comptez-vous résoudre cette équation ?
Lorsque je suis arrivé au TGP, nous avons donné des Monteverdi. A l’époque, certaines personnes m’ont traité de fou, mais finalement tout le monde est venu et la ville de Saint-Denis s’est apaisée par rapport à son théâtre car elle l’a reconnu comme un lieu lui appartenant. Dire « Je serai plus égalitaire que celui qui était là avant » ne m’intéresse pas. Le projet de Philippe Quesne se tenait dans un paysage culturel parisien et grand parisien. Il a fait en sorte que les artistes trouvent un lieu pour grandir et s’épanouir. Son projet était multi-formes et organisé selon une logique de séries courtes. Pour tenter d’aller chercher un autre public, je vais miser sur des séries beaucoup plus longues, sans dire que je ferai mieux que lui.
Selon moi, la question de la durée d’exploitation est capitale car tout le monde n’est pas initié au théâtre. Il faut du temps pour que le bouche-à-oreille se fasse. Dans son histoire, Nanterre a toujours porté une action, une modernité, avec un projet différent, complémentaire. Pour s’enrichir ensemble, le mélange est fondamental. Il faut du théâtre parisien dans un théâtre qui n’est pas de centre-parisien, des gens qui aiment le théâtre pour faire venir ceux qui ne le connaissent pas. Nous avons besoin, à la fois, du public parisien et du public local pour donner de la puissance à l’implantation du lieu sur son territoire.
La fin du second mandat de Philippe Quesne fut émaillé par un conflit avec le maire de Nanterre, Patrick Jarry, qui tirait à boulets rouges sur son projet artistique. Quelle sera votre méthode pour apaiser le climat, y compris au sein de l’équipe du théâtre ?
Ma nomination à l’unanimité des membres du jury, dont la mairie fait partie, montre une certaine bienveillance à mon égard, ce qui est capital car il est très difficile de travailler lorsqu’on a des problèmes avec le maire. Parce qu’ils sont implantés sur des territoires, incarnés par les édiles, les CDN ne peuvent pas aller contre eux. Quand Gérald Darmanin a été élu maire de Tourcoing [l’Idéal Ciné, la deuxième salle du Théâtre du Nord, est située à Tourcoing, NDLR], les mois suivants furent très compliqués, mais, petit à petit, tout s’est apaisé quand, de part et d’autre, les armes ont été déposées.
Vous portez aussi un projet différent, que d’aucuns qualifient de « vieux théâtre »…
Il y a quelques temps, certains imaginaient une guerre entre les contemporains et les classiques, aujourd’hui, d’autres l’imaginent entre les formes contemporaines et les textes, sauf que nous n’avons aucun intérêt à faire la guerre. Il est certain que j’aime les textes et que, pour moi, le théâtre est pluridisciplinaire. Je ne peux pas faire le même projet que Philippe Quesne, mais je ne dis pas que tout ce qui s’est passé avant n’existe pas. Je souhaite simplement que le théâtre se stabilise économiquement, puisse vivre correctement, notamment avec une grande salle qui fonctionne car elle en est le poumon. Dans la salle transformable, qui va véritablement le devenir, et dans la nouvelle salle de 200 places, nous pourrons sans doute oser des choses plus expérimentales. Avec Nathalie Pousset et Anne-Marie Peigné, nous allons mobiliser notre expérience et notre savoir-faire pour insuffler une vision qui englobe, à la fois, le territoire, l’équipe et les artistes, et porter la petite musique de Nanterre jusqu’aux oreilles du public.
Propos recueillis par Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
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