Au Théâtre des Halles, à Avignon, le futur ex-directeur du Théâtre National de Strasbourg s’empare du témoignage d’un torturé durant la guerre d’Algérie.
Les mots résistent parfois à exprimer l’indicible. Ceux écrits par Henri Alleg dans son ouvrage La Question, publié en 1958, suffisent pour imaginer l’horreur de l’espèce humaine dans tout ce qu’elle a de plus laide. Au Théâtre des Halles, à Avignon, Stanislas Nordey, bientôt ex-directeur du Théâtre National de Strasbourg – il quittera ses fonctions à la fin du mois d’août, remplacé par Caroline Guiela Nguyen –, s’empare de ce texte aussi magnifique que difficile, narrant avec un ton juste le témoignage d’Henri Alleg. Cet ancien directeur d’Alger Républicain et membre du Parti communiste français fut victime d’actes de torture durant la guerre d’Algérie, résistant corps et âme (littéralement) aux sévices subis. Son témoignage, écrit dans un style sec, froid, et sans fioritures, lui vaudra une condamnation à dix ans de prison et sera par ailleurs interdit de publication pendant de longues années. Écroué à Rennes, Henri Alleg s’évadera pour rejoindre la Tchécoslovaquie jusqu’à son amnistie tardive, qui lui permettra de rentrer en France.
Debout sur un sol noir et brillant, Stanislas Nordey laisse toute sa place à la puissance du récit. Vouloir esthétiser, mettre en scène ou modifier les actes décrits par Henri Alleg – même si la version présentée a été légèrement raccourcie – serait une entreprise vaine tant elle amoindrirait la portée des mots du torturé. C’est donc sur un plateau neutre que le metteur en scène et comédien livre les descriptions chirurgicales des sévices subis par l’écrivain. La quasi-noyade, les électrodes placées sur les parties intimes, la privation d’eau… Chacun de ces actes, de ces états physiques extrêmes s’impose à nous via des images mentales d’une grande intensité. Le choc peut être violent. Henri Alleg est en paix depuis longtemps, mais nous sommes avec lui, dans sa cellule, à vivre l’infamie.
En fond de scène, deux rideaux de fils tissés suspendus l’un devant l’autre dessinent un tableau mouvant. Les stries se balancent au gré du souffle projeté dans la salle. Quelques projecteurs éclairent le visage et le corps de Stanislas Nordey, tout entier dévolu à la parole d’Henri Alleg. L’artiste en épouse le sens, délivrant lorsqu’il le faut la charge que ces mots recouvrent. La Question ne cherche pas l’émotion, mais la vérité. Le texte concerne certes des actes perpétués il y a plusieurs décennies, mais la torture n’a pour autant pas disparu de notre monde. Le spectacle forme donc une piqûre de rappel toujours utile pour lutter contre l’amnésie de certains. Ce sera le combat d’Henri Alleg, jusqu’à sa disparition en 2013, magnifié ici par le théâtre et l’un de ses plus grands interprètes.
Kilian Orain – www.sceneweb.fr
La Question
Texte Henri Alleg (Éditions de Minuit)
Mise en scène Laurent Meininger
Avec Stanislas Nordey
Scénographie Nicolas Milhé et Renaud Lagier
Collaboratrice Jeanne François
Création lumière Renaud Lagier
Création son Mikaël Plunian
Décors Ronan MenardProduction Compagnie Forget me not
Coproduction Théâtre National de Strasbourg, Fonds de Dotation du Quartz – Scène Nationale de Brest, L’Archipel – scène de territoire pour le théâtre, Fouesnant-Les-Glenan, Théâtre du Pays de Morlaix, GRRRANIT Scène nationale de Belfort
Le spectacle a reçu le soutien de la DRAC Bretagne, la Région Bretagne et de Rennes métropole.
Avec le soutien du Ministère de la Culture – DRAC de Bretagne, dans le cadre du Plan de relance 2022
Et la participation du ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie et du Théâtre National de Bretagne
Cette série de représentations bénéficie du soutien financier de Spectacle vivant en Bretagne.
Diffusion En votre Compagnie – Olivier Talpaert
Coréalisation Compagnie Forget me not / Théâtre des Halles, AvignonDurée : 1h15
Festival Off d’Avignon 2023
Théâtre des Halles
du 7 au 26 juillet, à 16h30 (relâche les 13 et 20)
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !