C’était un samedi ravive une histoire en passe de tomber dans l’oubli : celle des Romaniotes de Grèce, qui forment la plus ancienne communauté juive d’Europe. Dans une mise en scène d’Irène Bonnaud, la chanteuse et comédienne Fotini Banou en raconte la déportation à Auschwitz en 1944. Sur les cendres de la tragédie passée, le théâtre, subtilement, s’écrit au présent.
Parmi la vingtaine de sculptures qui occupent le plateau nu, Fotini Banou fait figure de géante. Elle semble aussi particulièrement vivante, vibrante. Lorsque, dès les premières minutes de C’était un samedi, elle se met à chanter à voix basse, la source de cette présence se précise. Elle vient d’un passé qui ne fut pas toujours gai, loin s’en faut, mais dont le récit est de ceux qui consolident. De ceux sans lesquels les individus et la société qu’ils composent ne peuvent prendre pied dans le présent, et encore moins envisager l’avenir. Ce passé, c’est celui de l’Épire, en Grèce. C’est en particulier celui de Ionannina, où vivait la plus ancienne communauté juive d’Europe – les Romaniotes – jusqu’à l’arrivée de la Wehrmacht en 1944. Conçue et mise en scène par la traductrice et metteure en scène Irène Bonnaud, la partition interprétée par l’artiste grecque exhume avec délicatesse la tragédie d’hier pour replacer les disparus parmi les vivants. Pour qu’au contact des premiers, les seconds puisent la force d’affronter les tragédies d’aujourd’hui.
D’abord inertes, anonymes, les figures en terre cuite réalisées par Cléo Makris prennent vie à mesure que Fotini Banou avance dans son récit composé de matières diverses, mais avec une simplicité telle qu’il paraît d’un seul tenant. Mêlée à des chants de la communauté romaniote aux sonorités byzantines et à d’autres en judéo-espagnol, c’est d’abord d’un texte de Dimitris Hadzis (1913-1981) – le plus grand écrivain grec selon Irène Bonnaud, qui le qualifie de « communiste mélancolique » – dont s’empare l’artiste. Soit Sabethaï Kabilis, l’une des sept nouvelles de La Fin de notre petite ville (1953), toutes situées à Ioannina. D’un simple regard, d’un simple geste, la comédienne et chanteuse donne un nom et une personnalité à l’une des sculptures, qui jusque-là ne se distinguait en rien des autres. Grâce au théâtre, qui permet de transformer n’importe quoi en son contraire, elle n’est plus seule désormais, mais avec le personnage éponyme de la nouvelle, « vice-président de la Chambre de commerce, notable, personnalité éminente, au pouvoir bien plus important que le rabbin ou le représentant officiel de la communauté juive », explique la metteure en scène.
Telle une conteuse, passionnée par ses sujets au point de régulièrement se confondre avec eux, Fotini Banou décrit avec les mots de l’auteur grec la grande amitié de Sabethaï Kabilis pour son « presque fils adoptif » Joseph Eliyia. « Sorte de Rimbaud juif grec, premier militant communiste de Ioannina, mais aussi grand talmudiste et traducteur de la Torah », résume Irène Bonnaud, cet homme connaît dans C’était un samedi le même sort que Sabethaï : un signe de l’actrice, et le voilà parmi nous sous la forme d’un tout petit homme d’argile. De mots aussi, car certains de ses poèmes s’ajoutent aux chants et aux mots de Dimitris Hadzis pour dépeindre de l’intérieur la vie de la communauté dont le destin bascule le 25 mars 1944, jour d’arrivée de la Wehrmacht à Ionannina. Jour du début de la déportation des Romaniotes à Auschwitz.
La littérature, dans C’était un samedi, laisse place aux témoignages lorsque Fotini Banou arrive à cette date fatidique. Recueillis par Irène Bonnaud auprès des rares rescapés qu’elle a pu rencontrer en Grèce, aux États-Unis et en Israël, ils permettent de reconstituer la déportation et la vie des camps. En donnant au passage vie à d’autres sculptures, tout en continuant d’exhumer des chants anciens et de dire des poèmes, l’artiste aborde ainsi l’un des plus sombres passages de l’Histoire avec la même douceur que la période qui le précède. À sa façon d’être là, pleinement bien qu’au carrefour de plusieurs époques et de paroles diverses, on comprend que l’affreux samedi n’est pas tout à fait passé : quelque chose de lui subsiste dans la Grèce d’aujourd’hui, qu’Irène Bonnaud qualifie d’« épicentre des tragédies européennes ».
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
C’était un samedi Μέρα Σάββατο
Textes Irène Bonnaud, Joseph Eliyia, Dimitris Hadzis
Mise en scène Irène Bonnaud
Avec Fotini Banou (jeu, chant)
Scénographie (sculptures) Clio Makris
Lumière Daniel Levy
Collaboration artistique Angeliki Karabela, Dimitris Alexakis
Traduction grecque Fotini Banou
Régie générale Yannis Zervas
Production déléguée KET / TV Control Center – Athènes
Co-production Scène Nationale Châteauvallon-Liberté, Théâtre national de Nice
Avec le soutien de l’Institut français de Grèce
Durée : 1h30
Théâtre du Soleil – Cartoucherie – 75012 PARIS
Du 9 au 30 septembre 2023
Mardi, mercredi, vendredi, samedi 20h
Dimanche 16h
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