« Il n’y a pas d’histoire. Juste une armée – celle du général Pol – là depuis trop longtemps. Des mois. Les hommes encerclent une ville dont le gouverneur a fait brutalement sécession. Quelque chose comme un territoire d’outre-mer qu’il faudrait soudain reprendre par les armes. Mais le général Pol et le gouverneur rebelle sont des amis d’enfances. Les soldats rechignent à livrer cette guerre. Ils attendent en pestant, en réfléchissant à leur condition, en pensant aux filles qu’ils ont laissées au pays. Les soldats ne veulent ni gagner ni perdre. Ils veulent rentrer chez eux. Ils sont conscients de n’avoir plus d’autre morale que celle de la télévision. Ils ne se demandent pas s’ils sont des monstres. Ils se demandent si les civils les haïront quand ils rentreront chez eux. C’est tout ce qui importe, mais la question est douloureuse. Le gouverneur a un fils, beau comme un dieu et blond comme les blés. On ne le voit jamais. Il aimante les caméras. Il excite les fantasmes de tous les soldats de Pol mais aussi de la femme de ce dernier (Argie). Elle l’a connu enfant. Elle l’a connu dans le rayonnement de son innocence et maintenant elle le voit homme et taché de sang. Argie se demande si elle est pédophile parce que le garçon est très jeune. Elle se demande si elle est un monstre parce qu’elle ne pense qu’à son désir pendant cette période de guerre. Elle n’arrive pas à répondre. Elle se suicide en se pendant avec son soutien-gorge. Dans sa propre armée, le général Pol a un rival, Tydée, lui aussi un camarade d’enfance. Pour s’en débarrasser il le charge d’une attaque suicidaire. Tydée meurt devant la ville mais Pol est pris pour cible par son propre gouvernement qui désavoue ses actions. On l’accuse de se battre pour des raisons personnelles et de se battre salement. Il se demande s’il est un monstre. Il n’arrive pas à répondre. Il en meurt. D’ailleurs, à la fin, tout le monde meurt. Mais les caméras n’étaient pas sur place. Alors ils meurent deux fois plus : ils meurent d’une mort non validée par l’image. Le seul qui devienne un héros de guerre c’est le Messager qui s’assure un passage à l’écran pour raconter la bataille finale. » Note d’intention d’Alice Zeniter
Spécimens humains avec monstres
D’Alice Zeniter,
mise en scène et scénographie : Urszula Mikos
Nathan Gabily………………….. Un soldat
Philippe Gaulé…………………. Un soldat
Catherine Gendre……………… Ministre
Michel Gravero…………………. Ministre
Michel Quidu……………………. Pol
Pearl Manifold…………………… Argie
Yves-Robert Viala……………… Tydée
Olivier Werner…………………… le Messager
Vidéo: Grégory Mc Grew, Eric Angels
Avec la participation de Yumi Fujitani (danse butô)
Création française
(texte lauréat de l’aide à la création du CNT. DMDTS)
Du 19 au 29 janvier 2012 Du lundi au samedi à 20h, dimanche à 17h (relâche le 25 janvier)
La Fabrique mc11 – 11 rue Bara, 93100 Montreuil – Tél : 01 74 21 74 22
Cette pièce parle de l’Humain.
L’humanité dans toute sa complexité. Ni beau, ni laid. Ni bon, ni mauvais. L’Homme est tour à tour et à la fois doux, pathétique, monstrueux, cruel, attendrissant, drôle. Complexe.
C’est ce que nous donne à voir la pièce.
Alice Zeniter, après des études sur la violence au théâtre, a voulu mettre fin à la vision manichéenne qu’on en donnait pour nous proposer un débat ouvert à travers cette œuvre qui met en scène des humains et/ou des monstres selon notre propre vision des choses. Une créature merveilleuse se voulant la femme parfaite mais pouvant se révéler être un monstre cruel et pourtant si fragile. Un général de guerre qui doit, et veut, tuer son ancien ami et le fils de cet ami mais éprouvant le « juste remord », prouvant qu’il peut être plus humain qu’on ne l’aurait pensé. Un pur monstre qui s’affirme en tant que tel mais qui par le fait de s’assumer en devient plus sympathique que les personnages politiques mis également en scène et qui, eux, veulent tromper l’opinion publique sur les atrocités de la guerre pour une affaire de communication médiatique soit disant transparente, le tout dans une parfaite hypocrisie. Et enfin des soldats, ici présentés avec une telle la naïveté, humanité et un tel malaise qu’ils en sont troublants. Le tout nous amène à nous questionner sur l’humanité dans son ensemble dans notre monde actuel, en même temps que tous ces personnages eux-mêmes se posent la même question.
Nous avons tous un monstre en nous, c’est un propos souvent repris au théâtre, mais Alice Zeniter nous propose ici de considérer que dans ceux que nous considérons par habitude comme des monstres, il y a aussi des humains. Oui, même chez ceux qui tuent : les militaires. Du moins, dans cette fiction.
La mise en scène d’Urszula Mirkos, dans ce dispositif complètement blanc permet de mettre également en valeur pleinement l’être humain car il se découpe par contraste.
L’auteure fait preuve d’une grande virtuosité dans le maniement de la langue, ce qui ajoute une force au texte telle qu’il n’en perd pas même après plusieurs écoutes. Le choix des mots est juste. Justement humain. Complexe et authentiquement humain.
Les comédiens, grâce à la mise en scène mais aussi grâce à leur formidable talent, leur présence qui ne faiblit jamais d’un soir à l’autre, renforcent les propos du texte.
Je rajouterai un mot sur le cadre du spectacle, ce petit théâtre nommé La Fabrique* car ils utilisent tous les moyens du bord : par exemple le hall d’accueil sert aussi de pièce annexe de jeu où sont filmés les comédiens, le tout retransmis par vidéo-projection sur le fond blanc de la scène.
Bref, texte, dispositif scénique et mise en scène, rythme de la pièce, et comédiens, permettent finalement de mener cette production-laboratoire à merveille, sans aucune faille.
Originalité, force, nouveauté, beauté, humanité dans toute sa complexité, émotions diverses, réflexion, Spécimens humains avec monstres est LE spectacle à voir cette saison, même pour un public non-averti. Dépêchez-vous, il ne reste plus que deux soirs !