Avec Superstructure de Sonia Chiambretto, le metteur en scène Hubert Colas plonge dans l’histoire récente de l’Algérie sans parvenir à en donner à voir la complexité.
Au TNS, à Strasbourg, la compagnie Diphtong joue actuellement Superstructure. Un spectacle dont la programmation résonne avec la sortie récente de l’ouvrage #metoo théâtre : un collectif d’élèves du TNS se mobilise en effet contre la présence de l’un des comédiens du spectacle. Ce dernier, ancien élève du TNS, est accusé de violences sexistes et sexuelles et de harcèlement et fait l’objet d’une plainte actuellement en cours. À leur communiqué, le directeur du TNS Stanislas Nordey a répondu par un autre, explicitant la position du théâtre et justifiant de la mise en place de diverses actions. Si le spectacle se joue comme prévu, ce cas rappelle néanmoins que désormais, la parole des victimes ne peut plus être ignorée.
Publié sous l’intitulé Gratte-ciel, récit, le texte de Sonia Chiambretto embrasse dans une polyphonie de voix une traversée de l’histoire de l’Algérie contemporaine. De 1954 à ce qu’on appelle la décennie noire – guerre civile qui fit entre 150 000 et 200 000 victimes et qui vit des groupes terroristes islamistes s’opposer au gouvernement algérien entre 1991 et 2002 – ; et jusqu’à une échappée dans le futur, cet écrit entremêle les périodes et les positions des protagonistes. Il y a Fella, jeune femme issue d’une famille aisée vivant dans les hauteurs d’Alger dans les années 90 ; il y a ses amis, parents cousins, eux tous dont des proches vont mourir ; il y a des membres du FLN ; des soldats de l’armée française ; des infirmières ou, encore, des villageois pris dans la guerre d’Algérie.
Échappant à une logique chronologique, puisque la seconde partie du spectacle nous ramène en 1954 pour courir jusqu’en 1969, l’ensemble est traversé de motifs récurrents. Revient, notamment, le projet architectural Obus. Pensée par Le Corbusier pour Alger, cette proposition démesurée qui comportait entre autres un immeuble de plus de dix kilomètres avec une autoroute sur sa toiture ne vit jamais le jour. Elle constitue dans ce texte dystopique le lieu repère pour les habitants, sa présence semblant scander le quotidien, orienter les regards.
Mettant en scène ce texte (qu’il avait déjà commencé à travailler en 2013), Hubert Colas choisit d’intituler son spectacle Superstructure. Il se dit dans ce glissement de nom, outre la manière dont le projet du Corbusier architecture le texte, la métaphore qu’il porte : l’ambition démesurée du Corbusier renvoie ici à la colonisation et à la manière dont celle-ci traverse l’histoire du pays, marquant pour longtemps ses histoires et structures intimes comme politiques.
Dans un dispositif constitué d’un écran vidéo sur lequel est d’abord projeté une image de mer calme – qui s’ouvrira ensuite sur des vues d’Alger et dans la seconde partie, de forêts – et d’un panneau incliné, sorte de scène surélevée et mobile, les sept comédiens évoluent. Commençant à porter ce récit choral, ils déplacent de petits modules, références à l’ensemble architectural, avant d’investir lesdits modules, d’y « habiter ». Faisant face le plus souvent au public, ils portent les différentes séquences, tentant d’y imprimer un rythme soutenu, une scansion particulière et de donner corps à la diversité de voix, de témoignages de documents exploités par Chiambretto.
Au fil de cette forme faite de fragments épars se répètent les massacres, les menaces, les morts violentes, l’inquiétude sourde. Mais si l’on saisit l’ampleur du projet d’écriture comme de mise en scène, la volonté d’évoquer des séquences historiques par celles et ceux, figures anonymes, les ayant traversées, l’ensemble peine en l’état à convaincre. Ayant fait le choix de réaliser diverses coupes dans le matériau initial, Hubert Colas le rend trop elliptique. L’on en vient à survoler au pas de course une histoire dans une proposition conceptuelle formellement, sans pouvoir pleinement en appréhender la complexité et en saisir les enjeux.
Face à un propos extrêmement vaste et en même temps réducteur par sa trop grande concision, les comédiens peinent encore pour l’heure à se saisir pleinement de l’ensemble. L’interprétation apparaît parfois mécanique, assez peu assurée, comme si la distance et le regard sur chaque personnage, qu’il soit récurrent ou non, n’étaient pas encore trouvés. Seule la comédienne Perle Palombe, interprétant la jeune Fella, parvient à donner corps de bout en bout à son rôle.
Quelques séquences plus fortes émaillent cependant la création : citons l’évocation (notamment par le comédien Ahmed Fattat) juste et poignante de l’internement dans un camp des enfants de la Casbah, récit suivant la diffusion d’un extrait du film de Gilles Pontecorvo, La Bataille d’Alger. Un choix de film qui, au passage, n’a rien d’anodin, l’œuvre étant célèbre autant pour son histoire que par l’influence qu’elle a eue dans l’histoire (et par sa façon de rappeler que le cinéma, donc l’art, peut influer sur le réel) : c’est durant les préparatifs du tournage que Boumédiène réalisa en juin 1965 son coup d’état. Les Algérois, croyant assister au tournage, demeurèrent cois …
Encore inégal et inabouti, gageons que Superstructure trouve au fil de sa tournée sa juste adresse et se défasse de sa gravité générale – qui, au-delà du propos, tient à la difficulté de l’équipe à appréhender ce matériau –, pour rendre compte de la puissance de son propos.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Superstructure
Mise en scène, scénographie : Hubert Colas • Texte : Sonia Chiambretto (l’auteure est représentée par L’Arche, agence théâtrale) • Avec : Sofiane Bennacer, Mehmet Bozkurt, Ahmed Fattat, Isabelle Mouchard, Perle Palombe, Nastassja Tanner, Manuel Vallade • Vidéo : Pierre Nouvel • Lumières : Fabien Sanchez et Hubert Colas • Son : Frédéric Viénot • Costumes : Fred Cambier • Assistante à la mise en scène : Salomé MichelProduction : Théâtre National de Strasbourg • Théâtre de Liège
Théâtre National de Strasbourg
Du 8 juin au 15 juin 2022
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