Avec la publication attendue de Nouvelle histoire de la danse en Occident, ouvrage collectif sous la direction de Laura Cappelle, un autre regard sur l’art du mouvement s’impose. Et avec Alain Buffard, Good Boy, sept ans après la disparition du chorégraphe, un livre passionnant retrace sa carrière.
Il suffit de regarder les rayons des librairies pour constater que l’histoire de la danse souffre encore du peu d’engagement des éditeurs. Un Larousse de la danse (dont la 2è édition remonte à 1999), le formidable livre de Annie Suquet, l’Eveil des modernités (dont en attend le second volume) et une flopée de biographies. Ainsi la dernière édition d’Histoire de la danse en Occident – déjà au Seuil – est datée de 1997. Il y avait urgence donc à rattraper ce retard et ne pas laisser le domaine anglo-saxon conter seul cette aventure artistique. Sous la direction pertinente de Laura Cappelle, Nouvelle histoire de la danse en Occident fera date.
« Aucune tentative de raconter la danse ne peut donc faire l’économie du doute, de l’humilité et d’un travail critique assidu » plaide Laura Cappelle. Le lecteur, passionné et néophyte de la danse, va donc remonter le temps passant des danses sacrées ou profanes de la préhistoire à une certaine modernité. Chaque chapitre fait un point sur les connaissances et nous embarque ailleurs. En Grèce par exemple à la découverte des danses chorales. Ou de la gestuelle : « Quelle que soit leur nature, les danses grecques comportent un caractère mimétique, et comme elles évoluent peu à peu vers la pantomime, cet aspect devient plus important » écrit Marie-Hélène Delavaud-Roux.
Un peu plus loin on dévore le chapitre sur L’église et la danse au moyen âge de Adrien Belgrano. « La danse est un cercle dont le centre est le diable ». Et l’auteur de relater les épisodes les plus marquants d’une condamnation sous le nom de « exempla ». On sourit à l’évocation de ces « châtiments qui attendent les danseurs en enfer ». Même si on se dit que danser n’a pas toujours été sans risque. Le passage de Marina Nordera sur la naissance du ballet est fascinant : elle convoque la figure du roi à travers le ballet de cour. Louis XIV « aura confié au ballet une fonction de propagande politique en dansant lui-même régulièrement des rôles de premier plan ». L’autrice évoque un phénomène culturel avec la circulation des artistes en Europe.
Les quelques pages sur Marius Petipa éclairent habilement son apport au Ballet impérial de Russie. Si on a l’impression de tout connaître des Ballets russe de Diaghilev, on retrouve avec plaisir Laure Guilbert sur la danse en Allemagne de Mary Wigman à Pina Bausch. C’est un pan de l’histoire de l’art qui s’écrit dans un siècle de tous les dangers. On ne résiste pas à ces lignes de Guilbert : « la danse moderne influence également en profondeur l’ensemble des arts, jouant tout à la fois un rôle de muse et de figure de proue de la modernité ».
Presque rien n’échappe à cette « collection » de rédacteurs. Le hip hop est ainsi –finalement- à sa juste place. Enfin le texte de Patrick Germain-Thomas balaye avec intelligence un « changement » de cap après la disparition de deux maîtres, Cunningham et Bausch au début du XXiè sicle. Certains s’étonneront de lire une histoire… occidentale. Laura Cappelle précise d’ailleurs que « le langage non verbal qu’est la danse n’a pas pour coutume de s’arrêter aux frontières ». Mais évoquer la recherche en Asie ou en Afrique nécessite à coup sûr un autre volume. On laissera William Forsythe, qui signe le court avant-propos, conclure : il affirme, évoquant la démarche des chercheurs en danse, qu’il ne faut pas être naïf « à propos de nos propres idées. En tant que chorégraphes, quelle que soit l’idée qui nous vient, d’autres l’ont probablement déjà eue ». On espère un jour une Histoire de la danse signée Forsythe.
Nouvelle histoire de la danse en Occident sous la direction de Laura Cappelle, Editions du Seuil, 31 euros
Alain Buffard, l’intime entre les lignes
Un colloque, des films projetés, des pièces remontées, Buffard aura été de toutes les conversations chorégraphiques à l’automne 2017. Pour beaucoup de jeunes spectateurs la découverte d’un solo comme Good Boy aura été un choc visuel. Ce livre qui en reprend le titre permet aujourd’hui de continuer ce dialogue. Il est superbe par son iconographie, sa volonté de cerner un électron libre de la danse et l’intelligence des signatures réunies par Fanny de Chaillé, Laurent Sebillotte et Cécile Zoonens.
Quelle est la place actuelle de cet auteur-chorégraphe ? « Il a élaboré une œuvre qui, de Good Boy à Baron Samedi, a participé au renouvellement de la scène française par sa radicalité et la fécondité de ses interrogations » résume le trio. Il y a Buffard l’interprète, chez Daniel Larrieu ou Régine Chopinot, Buffard le voyageur qui part à San Francisco à la rencontre de Anna Halprin ou Buffard l’intellectuel qui va s’intéresser « aux processus d’aliénation analysées dans les gender ou cultural studies ». On pourrait ajouter l’esthète avec un œil sur la haute couture ou le provocateur. Tous ces Buffard –ou presque- sont de mise entre les pages, dans un aller-retour avec l’image –les photos de Marc Domage proche d’Alain- et les essais.
Mathieu Doze, assistant sur le remontage des Inconsolés ou interprétant Good Boy (en 2017), revient ainsi sur son expérience. « Il s’agit d’essayer de donner suffisamment confiance dans le geste pour que son incarnation, son habitation, son régime d’intention, le régime tonique qui en découle, soit le plus possible parlant et justement qu’on n’ait pas besoin de raconter plus d’histoires que ça… puisque l’écriture parle suffisamment, il me semble, dans cette pièce ».
Dans son texte, Good Boy « Danse de la chambre » Elisabeth Lebovici revient sur l’expérience de la séropositivité d’Alain Buffard. Ce dernier va ainsi arrêter de danser en 1988. Dix ans plus tard il se met à nu dans Good Boy. Entre temps Buffard travaille dans une galerie à Paris, rencontre Halprin dans son Sea Ranch. Son solo présenté à la Ménagerie de Verre fera l’effet d’une implosion dans un milieu chorégraphique français ronronnant. «En travaillant sur Good Boy, en zonant nu dans le studio, j’ai traversé des étapes d’écorces très différentes. Je crois que l’élément moteur et premier pour moi c’était la peau » dit le chorégraphe. Cet ouvrage beau et sensible va ainsi se déployer sous les yeux du lecteur à la façon abécédaire. Il n’en fallait pas moins pour s’approcher du mystère Buffard.
Alain Buffard, Good Boy, co-édition CND/Les Presse du Réel, 39 euros
Philippe Noisette – www.sceneweb.fr
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