solo
Une maison (2019) venait inscrire sur le plateau un flux amplifié, difracté à travers quatorze danseurs. À ce jour, j’éprouve le désir de rassembler ce flux dans un seul corps. J’aime ce rapport privilégié du « un à un ». Les soli jalonnent mon parcours chorégraphique. Ils sont autant de portraits doubles, dissociés, où je me retrouve tout autant que les personnes auxquelles je les offre.
Le dernier solo remonte à 2012. Depuis, il y a eu beaucoup de pièces de groupe. Je ressens la nécessité de revenir à une forme simple, pas tant dans le résultat que dans les processus qu’elle engage : entamer une discussion avec quelqu’un plutôt que de se projeter vers une polyphonie. Je parlerais d’une envie de re-concentrer. Explorer un détail, peut-être, qui a affleuré dans une maison : extraire un corps, dériver avec ce fragment et voir où cela peut nous amener. La dérive à deux est toujours plus dense.
en son lieu
Le titre de cette nouvelle création s’inscrit dans la lignée des pièces d’à côté, d’après nature et une maison. Il détermine encore un espace très flou qui ne sera nommé que par la pratique qui viendra s’y inscrire.
Le lieu à l’échelle de celui qui va le fouler : en son lieu. Placer l’accent sur l’espace d’apparition et d’inscription du solo, pour permettre au portrait de se décaler.
D’après nature marquait déjà un premier vagabondage sur cette ligne de fuite dedans – dehors, une première incursion dans le champ ouvert de la translation. Le principe de ce projet toujours en cours est de décontextualiser des danses apparues dans le studio, les re-situer dans le paysage pour observer ce qui allait survivre à son contact. Filmer enfin et ramener les images dans une boîte noire. En son lieu. se tiendra au plus près de la naissance des danses dans leur paysage. Faire des impressions à même le corps, ramener ces impressions dans la boîte noire.
dehors
Dans un premier temps, la sortie du studio s’impose à moi.
J’ai envie de me faire contaminer par un extérieur non citadin. Je ne parle jamais de dérive mais aujourd’hui, j’ai besoin de me déplacer avec et dans mon travail, de faire ce type de voyage, comme un pas de côté. Je souhaite ouvrir cet espace de laboratoire. Je le sens nécessaire.
Quelque chose est apparu dans mes dernières pièces. C’est intuitif. Ces signes qui perdurent, je dois les suivre maintenant, voir où ces lignes de fuite qui se sont multipliées peuvent m’amener.
Suivre des intuitions comme revenir aux propriétés de la matière : son élasticité, la manière dont elle se laisse guider et guide le geste.
Suivre un espace – qu’est ce que cela veut dire ? Il m’est essentiel aujourd’hui de répondre à cet appel du dehors.
J’ai le désir de paysages naturels. La montagne, avec son horizon dessiné par des crêtes. La mer, avec son horizon ouvert, aligné, tiraillé entre l’élément minéral et l’élément aquatique. La forêt, enfin, un environnement presque clos, dont l’horizon s’absente, se dérobe de par la profusion du végétal.
Je veux me tenir au plus près de la porosité entre les mouvements de Nicolas plongé dans le paysage et les mouvements du paysage lui-même. Travailler non seulement la matière paysage, mais aussi le mouvement paysage.
Être en dialogue, creuser la qualité du geste dans sa relation avec un environnement. Y lire, en-deçà de l’utilité, une primauté poétique, un appel à l’imaginaire.
Être dans le faire, à l’écoute de modes de sensibilités autres, des rapports sensoriels qui sont en jeu.
Faire des empreintes. Faire peut-être aussi des emprunts…
dedans
Nous reviendrons en studio avec des éléments-matières archivés, intégrés, incorporés depuis le dehors. Plus que sentir, voir ou entendre, il s’agira alors de mesurer leurs puissances d’abstraction, d’accéder à cette intensité perceptive que seule me donne la conscience du retour en studio. S’imprégner dans un plus que naturel, qu’il m’importe de mettre à l’épreuve de l’arrachement à soi. De quoi est faite cette rupture, cette zone de vide qui va être créée par re-contextualisation dans la boîte noire ?
Inventer, compléter, combler à partir de ces impressions déracinées de leur environnement pour façonner un rendu qui serait de l’ordre de la sur-impression.
Collecter, mais surtout rendre visible cette collecte, la formaliser, là où je situe les enjeux de la composition.
J’ai rencontré Nicolas lors de la création d’avant la nuit dernière en 2016 et de d’à côté en 2017.
Nicolas, le danseur, déploie tout un travail sur la fragmentation du corps et les points d’équilibre, qui découle de sa pratique du hip-hop. Ce n’est pas tant le hip-hop qui m’intéresse que la manière que ce danseur a de le décaler, de le texturer, de l’étirer, de le faire surgir d’endroits insoupçonnés de son corps.
Nicolas, la personne, a, quant à elle, fait le choix de vivre à la campagne, d’y travailler, d’entretenir un rapport direct avec les matériaux et le milieu vivant.
C’est ce double aspect qui m’intéresse chez lui : comment il inscrit sa danse ailleurs que dans l’environnement urbain que l’on projette quand on entend hip-hop. Il est l’interprète que je cherchais pour partir en dérive, ensemble.
— Christian Rizzo, octobre 2019
propos recueillis par Smaranda Olcèse-Trifan
en son lieu
Christian Rizzo, 2020
Solo pour Nicolas FayolLe 104
du 2 au 5 février 2022
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