Dans المتحف – Le Musée, l’auteur et metteur en scène palestinien Bashar Murkus, directeur artistique du Théâtre Kashabi, interroge la notion de terrorisme. Troublant dialogue entre un terroriste et un policier, cette pièce âpre témoigne de la vitalité, malgré tout, de la scène artistique palestinienne indépendante.
C’est avec Le Temps parallèle que le nom de Bashar Murkus commence à se faire entendre au-delà des frontières de la Palestine. En 2014, ce jeune auteur et metteur en scène, formé au théâtre à l’université de Haïfa, présente sur les planches du théâtre Al-Midan cette pièce qui fait événement dans l’histoire de la création palestinienne indépendante de la ville, l’une des plus importantes dans la culture et l’art palestiniens. Cela depuis des siècles, en dépit des tragédies qui s’y sont succédé, parmi lesquelles l’occupation, la destruction et la reconstruction qui, jusqu’à aujourd’hui, a pour objectif d’effacer son identité palestinienne. Dans cette création, l’artiste osait aborder un sujet des plus sensibles : les prisonniers palestiniens détenus dans les geôles israéliennes. Le vacarme politique attendu est au rendez-vous. Avec le soutien de la ministre de la Culture de l’époque, l’extrême-droite israélienne cherche à faire interdire la pièce en gelant les subventions du théâtre, contraint quelques années plus tard de fermer ses portes.
En réaction à cette violence, de nombreux artistes palestiniens se dirigent vers la scène indépendante. C’est le cas de Bashar Murkus lui-même, qui fonde, en 2015, l’Ensemble et le Théâtre Kashabi à Wadi Salib, l’un des derniers quartiers palestiniens où existent encore des bâtiments et des maisons tels qu’ils ont été laissés par leurs habitants quand ils ont été contraints de fuir lors de la Nakba de 1948. Avec المتحف – Le Musée, c’est toute cette aventure de théâtre qu’amène avec lui l’auteur et metteur en scène au Festival d’Avignon. Sa noirceur, son âpreté en témoignent, de même que sa manière d’aller droit au cœur de son sujet : le terrorisme. Contrairement au Temps parallèle toutefois, rien ne situe la pièce dans un contexte géographique et politique quelconque. Les productions du Théâtre Kashabi destinées à la scène internationale sont bien distinctes de celles qui s’adressent au public local ; la catégorie de المتحف – Le Musée, surtitré en français et en anglais, ne fait aucun doute.
Si elle évoque de nombreux attentats passés, notamment celui du Musée du Bardo à Tunis en 2015, l’attaque terroriste dont il est question dans المتحف – Le Musée pourrait avoir eu lieu à peu près n’importe où. En hochant la tête d’une manière frénétique, comme dans une prière détraquée, le comédien Ramzi Maqdisi se fait décrire au début de la pièce par Henry Andrawes – dans le rôle d’un inspecteur de police – le crime commis par son personnage dans un musée d’art contemporain qui n’est pas localisé : le meurtre de 49 enfants et d’une institutrice. Nous sommes à la veille de l’exécution du coupable, après sept ans de prison, et il apparaît d’emblée que l’heure n’est pas aux derniers remords avant l’oubli. Bashar Murkus n’est pas là pour faire la leçon. Il n’est pas là pour pacifier, pour apaiser les consciences, au contraire. Loin d’opposer deux conceptions du monde, deux façons d’appréhender le Bien et le Mal, son dialogue entre flic et terroriste est fait d’un seul et même langage, celui de la « banalité du mal ». L’artiste cite en effet Hannah Arendt comme source d’inspiration pour sa pièce, écrite dans le cadre d’une forme de laboratoire où il a rassemblé toute son équipe artistique pour réfléchir avec elle sur la notion de terrorisme. Avec cette question : « Qu’entendez-vous par le mot ‘’terrorisme’’ ? ».
Du premier au cinquième acte de la pièce, on avance dans la dernière nuit du condamné à mort, qui a choisi de vivre ce moment avec l’homme responsable du sort qui l’attend. Le combat qui se livre est d’autant plus passionnant qu’il se passe presque de coups. المتحف – Le Musée est un théâtre de la parole, et surtout de la représentation qui questionne ses propres procédés, ses manipulations. Maniée en direct par les deux comédiens, la caméra présente au plateau, dont les images sont transmises sur le fin écran tendu devant la scène, est au cœur de la relation qui se joue devant nous. Comme le meurtre, comparé par son auteur à une œuvre d’art contemporain, le film qui se tourne s’adresse à un public abstrait, mais qui détermine chaque mot, chaque geste des deux hommes qui parlent ainsi un même langage. Ils défendent un même type de jeu, dont la violence presque toujours contenue est une violence de théâtre, qui ne cherche pas à rivaliser ni à imiter une autre.
Avec son refus de calquer toute image et tout discours politique ou religieux – le crime n’est jamais justifié par autre chose que la quête d’une forme de beauté –, c’est autant à une interrogation des moyens du théâtre que du terrorisme qu’incite Bashar Murkus. Sans chercher à plaire à ses spectateurs étrangers, il défend un geste brut, mais aussi cérébral, où art et violence se toisent et s’embrassent d’exigeante et troublante manière.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Le Musée
Texte et mise en scène Bashar Murkus
Avec Henry Andrawes, Ramzi Maqdisi
Dramaturgie et production Khulood Basel
Co-chercheur Majd Kayyal
Musique Nihad Awidat
Scénographie Majdala Khoury
Lumière et direction technique Muaz Aljubeh
Assistanat à la mise en scène Samera KadryProduction Khashabi Theatre (Haïfa)
Coproduction Schlachthaus Theatre (Berne), Moussem Nomadic Arts Centre (Bruxelles), Kunstencentrum Vooruit (Gand)
Avec le soutien de la Robert Weil Family Foundation, Sundance Institute Theatre Lab, Onda – Office national de diffusion artistiqueDurée : 1h50
Festival d’Avignon 2021
Chapelle des Pénitents Blancs
du 20 au 25 juilletThéâtre des 13 Vents, Montpellier
les 18 et 19 novembre
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