Le metteur en scène Paul Desveaux et sa compagnie l’Héliotrope retrouve l’auteur Fabrice Melquiot pour travailler la figure de la célèbre photographe nord-américaine Diane Arbus.
Une atmosphère de fête flottait dans l’air lundi soir aux Plateaux sauvages. Le théâtre sis dans le vingtième arrondissement de Paris et dirigé depuis 2016 par la metteuse en scène Laëtitia Guédon rouvrait enfin. Car avant même le confinement mi-mars, les Plateaux sauvages ont été contraints de baisser temporairement le rideau début décembre 2019, une commission de sécurité de la Préfecture de police ayant constaté que le théâtre ne répondait pas à certaines exigences d’aménagement. Ce bouleversement a, notamment, amené le report de Diane Self Portrait, dont la création était initialement prévue en janvier 2020. Si ce report a pour partie remodelé la distribution (les comédiens Anna Mouglalis et Xavier Legrand n’ayant pu au final participer au projet), c’est une belle équipe que réunit Paul Desveaux pour évoquer la figure de Diane Arbus.
Pour se saisir de la vie de la photographe américaine née en 1923, connue pour avoir capté l’Amérique des marges des années 60, le metteur en scène a commandé un texte au dramaturge Fabrice Melquiot. Manière de prolonger une collaboration régulière (Desveaux ayant monté plusieurs textes de l’auteur), manière, aussi, de boucler la « trilogie américaine ». Soit un cycle de spectacles débuté en 2007, dont tous les textes ont été écrits par Melquiot, et s’intéressant à des artistes majeurs de la scène nord-américaine des années 50 à 70. Après le peintre Jackson Pollock et la chanteuse Janis Joplin, Desveaux a choisi de se pencher sur le parcours de Diane Arbus. Comme Joplin morte à 27 ans d’une overdose et Pollock à 44 ans d’un accident de voiture, la vie de Diane Arbus a été stoppée en plein vol, la photographe s’étant suicidée en 1971 à l’âge de 48 ans.
C’est dans une baignoire – renvoyant à celle dans laquelle Arbus fut retrouvée morte – qu’on la découvre lorsque le spectacle débute. Sur le plateau sommairement occupé par du petit mobilier, et éclairé par la douce lumière d’un projecteur de studio photo, la photographe allongée commence à parler. Tandis que des photos projetées en noir et blanc sur le rideau en fond de scène nous renvoient à l’image de sa mort, bientôt elle se relève, et sa mère la rejoint pour dialoguer avec elle. Au fil du spectacle, d’autres figures vont défiler, certaines ne faisant que passer, d’autres revenant. Il y a Gertrude, donc, la mère bourgeoise avec qui les relations sont tendues ; le père David, riche marchand de fourrures ; Allan Arbus, son époux qui aura largement encouragé sa carrière ; Lisette Model, sa professeure de photographie ; ou, encore, deux figures artistiques du New-York cosmopolite et noctambule : Vicki S. une femme trans et Jack Dracula, un homme aux nombreux tatouages.
Au gré des séquences les personnages se croisent, leur parole librement fictionnelle permettant l’évocation de l’histoire de la photographe. Si il y a bien des jalons biographiques, des dates, des mises en contexte historiques – le parcours de la jeune femme s’inscrivant ainsi dans un contexte plus général – l’ensemble approche sa vie au plus près. Comme le signale l’intitulé évacuant son patronyme, l’angle dominant est celui de l’intimité. Au risque qu’aux côtés de dialogues livrant des réflexions sur le travail d’Arbus et ses ambitions, certaines conversations versent dans la banalité, sans réelle pertinence.
Se déroulant dans un dispositif volontairement modeste formellement et très soigné dans sa facture, soutenu par la guitare live très présente de Michaël Felberbaum, l’ensemble peine à prendre corps. Pourtant, tout y est : équipe de comédiens investis, création lumières soignée, musique, photographies noir et blanc réalisée par le photographe habitué des plateaux de théâtres Christophe Raynaud de Lage. Mais en regard de la puissance des images de Diane Arbus – qu’elle-même définissait comme un projet d’anthropologie contemporaine – Diane Self Portrait demeure par trop sage et léger. Les angoisses d’Arbus quant à sa démarche photographique, sa quête d’un projet cohérent qui la traverse, son souci de compréhension intime de ses sujets, ses interrogations quant à ses origines juives, quoique toutes évoquées, se déplient dans un dispositif trop lisse pour dépasser le cliché.
Ce sentiment d’assister à une proposition assez mince en regard de son propos a peut-être pour partie à voir avec le texte de Fabrice Melquiot, dont les dialogues peuvent sombrer dans une platitude inconsistante. Seule la présence solaire et brute de l’artiste et performer polymorphe Jean-Luc Verna apporte chair et densité rugueuse au spectacle. D’un coup, en sa présence, l’ensemble prend corps, son personnage ironique venant apporter un souffle d’ambiguïté et rappeler l’essence du travail de Diane Arbus : capter l’altérité, se frotter à des êtres loin de la normalité, des « excentriques » selon ses propres mots, « ou plutôt ces gens qui croient en ce dont tout le monde doute. » Gageons qu’après quelques représentations le spectacle trouve son rythme et que l’ensemble de l’équipe parvienne à insuffler la violence directe et parfois teintée de mélancolie qui travaille l’œuvre photographique de Diane Arbus.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Diane Self Portrait
Texte Fabrice Melquiot
Mise en scène et scénographie Paul Desveaux
Collaboration artistique Céline Bodis
Musique Vincent Artaud et Michael Felberbaum
Création lumière Laurent Schneegans
Photographie Christophe Raynaud de Lage
Régie générale et plateau Pierre-Yves Leborgne
Régie son et vidéo Grégoire ChomelAvec Anne Azoulay, Michael Felberbaum (guitariste), Catherine Ferran (sociétaire honoraire de la Comédie-Française), Paul Jeanson, Marie-Colette Newman et Jean-Luc Verna
PRODUCTION
Production l’héliotrope
Coréalisation Les Plateaux Sauvages Coproduction Tangram – Scène Nationale d’Évreux-Louviers et DSN – Dieppe Scène Nationale
Avec l’aide de l’Adami, de la SPEDIDAM et de la Ville de Paris
Avec le soutien et l’accompagnement technique des Plateaux Sauvages
Avec le soutien du CENTQUATRE-PARIS et du Carreau du Temple – Accueil Studio
La compagnie l’héliotrope est conventionnée par le Ministère de la Culture – DRAC Normandie et par la Région Normandie.
Production et diffusion Véronique Felenbok assistée de Lucie Guillard.Durée : 1h30
Les Plateaux Sauvages
Du 21 SEPTEMBRE au 9 OCTOBRE 2020
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