Nous avions échangé avec Matthieu Cruciani, codirecteur du CDN de Colmar en compagnie d’Emilie Capliez, juste avant d’entrer en confinement. Au sein de la première région touchée par le Covid, Colmar était alors déjà barricadée depuis dix jours. C’est donc tout naturellement que nous avons repris contact au terme de cette période de réclusion pour voir maintenant, comment un CDN fermé depuis deux mois et demi redémarre son activité, alors qu’au sein de l’Association des CDN, les artistes ont rédigé collectivement un document qui évoque les “hypothèses de reprise“. Récit de Matthieu Cruciani.
A Colmar, il y a 25 employés permanents. Les services techniques sont déjà sur les lieux, et nous faisons une réunion de direction par semaine en présentiel. Pour le reste, on est encore en télétravail, et l’on fait des sondages pour savoir quels sont les souhaits de chacun. L’école n’a pas repris pour tous. Certains ont envie de reprendre en présentiel, d’autres non. On essaye d’être à l’écoute de chacun.
Les équipes techniques préparent les lieux pour les mettre aux nouvelles normes sanitaires. Il y a des scotchs de couleur partout. On se croirait dans une centrale nucléaire. Mais début juin, on devrait tous se retrouver là-bas, et ce sera tant mieux, parce que je n’en peux plus de ne voir les autres que par zoom. On va pouvoir recommencer à créer et à projeter ensemble. On va même démarrer de nouvelles répétitions.
« Il ne faut pas être trop volontariste »
On a revu la programmation de la saison prochaine. On a repoussé les grosses jauges de début octobre à début novembre. On ne pouvait faire comme si de rien n’était et y aller comme des bourrins. Mais on ne peut pas non plus se croiser les bras en attendant. On a donc lancé une série de quatre seuls en scène que l’on va créer ici, et qui devront tourner hors les murs – dans des EPHAD, des centre sociaux, des écoles… – en septembre et octobre. Qu’on reprendra ensuite dans nos murs tous ensemble dans la même soirée.
Evidemment, c’est encore tôt pour renouer des contacts avec certaines structures. L’Education Nationale, par exemple, ce n’est pas le moment de les contacter pour leur proposer quelque chose. On marche donc sur un fil. Il ne faut pas être trop volontariste mais il faudra être prêt quand eux le seront également et avoir alors des choses à leur proposer.
On poursuivra l’activité numérique jusqu’en septembre. Par exemple nous lançons une grande consultation publique pour savoir quels services un CDN de service public peut rendre aux habitants, quels sujets ils aimeraient voir traités. Des ces consultations on fera une restitution sous forme théâtrale en fin de saison.
« On a initié de nouvelles manières de faire »
Je crois que tous les CDN ont été inventifs pendant cette période et continuent de l’être. Et les dangers portant sur les grosses jauges conduisent naturellement à faire davantage de formes légères. La rupture d’avec le public à privilégier aussi les formes participatives. Si l’année suivante, on reconduit ces formes, c’est que ça n’aura pas été qu’un simple gadget.
Une crise comme celle du Covid a naturellement comme vertu de mettre à nu nos endroits de fragilité. David Séchaud, Juliette Steiner et Paul Schirck avec qui nous allons travailler les monologues dont je parlais habitent tous dans un rayon de 50km. C’est sûr que c’est bon de travailler avec des énergies locales. On s’est rendu compte également que les rendez-vous à Paris ou à Bordeaux, on pouvait le plus souvent se les faire d’un coup de zoom. On a initié de nouvelles manières de faire, on a ouvert de nouvelles réflexions.
A Colmar, la vie reprend mais le déconfinement est aussi un moment où l’on se rend compte qu’on n’est pas guéri, qu’on est simplement en observation. La région a été durement éprouvée, alors pour la place de l’art, je crois qu’il faut encore attendre. Mais une chose est sûre en ce qui me concerne, après pas mal d’années passées dans le métier, s’il me fallait interroger mon envie, ma passion, c’est fait : le théâtre. Ne serait-ce que de me rendre au théâtre pour voir un spectacle, me manque à un point que je n’aurai même pas imaginé.
Propos recueillis par Eric Demey – www.sceneweb.fr
Il est plaisant de constater que ce déconfinement amène a réaliser ce qui n’était pas possible depuis 50 ans c’est à dire de travailler pour « les gens » et non pas pour « son public » (abonnés, scolaires…). Allez dans les maisons de retraite, prisons, hôpitaux, écoles…. C’est ce que fond des milliers d’artistes depuis des dizaines d’années mais à partir de leurs compagnies respectives. Là, les CDN ne pouvant plus accueillir leur public confiné dans leur salle confiné va sur les terres largement parcourues par d’autres pour s’en sortir. Qu’en sortira t il justement? C’est ce qu’il faudra observer d’ici une année. Ce que la Ministre Trautmann n’avait pas réussi il y a 20 ans sous forme de « cahier des charges » pour les CDN et Scènes nationales est en voie (provisoire) d’ aboutissement « grâce » à une crise sanitaire ! Comme qui il ne faut jamais désespérer!
Travaillant pour un CDN non loin de là je vous confirme que les missions dont vous parlez sont effectivement déjà réalisées depuis 20 ans et que l’ensemble des maisons de théâtre s’y consacrent pour la moitié de leur temps ! Il ne s’agit pas d’opposer les CDN et les compagnies sur ce point : tant qu’il y aura des concitoyens qui n’y auront pas accès, les théâtres et les Cies continueront ce travail.
Il s’agit maintenant pour nos maisons de travailler différemment pour un temps donné, mais aussi de revenir plus tard à cette mission d’accueil et de diffusion dans une salle de 300-400, parfois 800, places que le Ministère confie à une équipe. L’un n’empêche pas l’autre.
Je suis à peu près certains que si on interrogeait des Cies sur ce point la réponse serait à peu près la même.
Bravo Colmar, Bravo les artistes, Bravo les Compagnies
On ne lâche rien, on reste positif et on reste groupé !
Bonjour,
Merci pour ce bel article.