Les Centres dramatiques nationaux ont fermé leurs portes comme toutes les structures culturelles le 16 mars, et depuis lors les directrices et directeurs partagent leurs réflexion pour envisager la continuité de leurs missions. Les répétitions reprennent petit à petit cette semaine dans les lieux (on vous parle très vite), et le fruit d’un travail collectif au sein de l’A-CDN, présidée par Robin Renucci (Tréteaux de France), avec à ses cotés Émilie Capliez (Comédie de Colmar) et Benoît Lambert (Théâtre Dijon Bourgogne) recense les « scénarii » dans un document qui évoque les « hypothèses de reprise« .
Modalités de reprise du travail avec les équipes permanentes
La majorité des CDN envisage une reprise progressive de l’activité courant mai et juin, en proposant aux équipes une poursuite du télétravail et un retour progressif du présentiel dans les locaux, en fonction de la reprise de l’activité de répétition. Le dialogue avec les salarié.e.s est constant, prenant en compte à la fois les inquiétudes quant à leur santé et l’impact psychologique du confinement pour certain.e.s.
Quelques CDN n’envisagent la reprise du travail sur site qu’après l’été et maintiennent leur activité en télétravail, même si les équipes techniques permanentes peuvent être amenées ponctuellement à reprendre des travaux de maintenance avant l’été.
Dans ces perspectives à court et moyen termes, toutes les équipes administratives et techniques travaillent d’ores et déjà activement à la mise en place des conditions sanitaires requises. Documents de travail et guides de bonnes pratiques circulent entre CDN.
Reprise des répétitions et réouverture des plateaux
La majorité des CDN a prévu de reprendre des répétitions dès le mois de juin, majoritairement pour des productions ou coproductions dont les échéances sont prévues à l’automne, ou mobilisant les troupes permanentes. Une minorité de CDN n’envisage pas de reprise avant septembre, reportant ou annulant les résidences de création, reportant également des créations importantes prévues à l’automne. Certains CDN enfin reportent à fin mai la décision d’une date de reprise.
Les résidences d’équipes et de compagnies venant d’autres régions restent cependant délicates à mettre en place avant l’été, les inconnues quant aux modalités de travail restant importantes, et la responsabilité des directions quant à la garantie du respect des consignes sanitaires étant fortement engagée.
Pour la majorité des écoles supérieures et des classes préparatoires, l’activité reprendra en septembre, l’enseignement à distance est maintenu d’ici là ; quant aux concours d’entrée, ils ont été décalés en juillet et/ou en septembre.
Quant aux travaux prévus dans certaines structures, qui concernent au moins 5 CDN, les chantiers sont tous interrompus ou suspendus, créant une difficulté supplémentaire quant à la visibilité pour la saison 20-21, et la nécessité de trouver des solutions de « repli » via le hors-les-murs et/ou l’accueil par des structures partenaires.
Hypothèses pour la Saison 20/21
L’incertitude quant aux conditions d’accueil du public, aux jauges, à la venue des publics scolaires ou encore à la mobilité possible des équipes artistiques, remet en question les programmes de la saison 20/21 tels qu’ils étaient conçus et nous demande de les repenser, en prenant en compte des contraintes nouvelles, elles-mêmes mouvantes.
Malgré ces incertitudes, certains CDN envisagent de pouvoir retrouver, dès l’été, un lien avec les spectateur.rice.s à travers des propositions légères et adaptées tenant compte des conditions sanitaires connues à ce jour. La grande majorité des CDN envisage des ouvertures de saison à l’automne, entre début septembre et début octobre.
Bien conscients du caractère hors du commun de cette saison à venir, les directions des CDN et leurs équipes ont travaillé à différentes hypothèses qui, toutes, visent à maintenir l’activité artistique, à renouer le lien avec les publics, à soutenir au maximum les artistes, les auteur.rice.s et les compagnies indépendantes, et à accorder une place centrale au dialogue avec eux.elles.
Les hypothèses et les exemples suivants ne sont pas exhaustifs, et ne s’excluent pas les uns les autres, mais donnent un aperçu de ce qui se pense et se construit aujourd’hui :
Le maintien des programmations prévues avec limitation des jauges, qui impliquerait : une augmentation des représentations favorisant les séries, la création de nouveaux dispositifs scéniques spécifiques afin de limiter l’impact des jauges réduites sur la qualité de la représentation et sa réception, ou encore l’utilisation des outils numériques pour maintenir le lien avec les spectateur.rice.s n’ayant pas pu assister aux représentations.
Le maintien du temps de présence des équipes artistiques invitées dans la saison, engageant un dialogue avec elles sur l’invention de nouvelles propositions et de formes adaptées aux contraintes (hors-les-murs, répétitions ouvertes, lectures, outils numériques, radios…). Ces propositions pourront se substituer ou s’additionner au programme déjà prévu, en fonction de l’évolution de la situation et des moyens. Ces réflexions ont été engagées par de nombreux CDN, certains prévoient par exemple de construire avec chaque équipe artistique différents scénarios possibles et d’inviter le public à côtoyer leur travail sans fixer par avance la forme exacte des expériences proposées.
L’intensification de la présence sur le territoire, par le hors-les-murs, les formes légères, les performances en extérieur ou les commandes passées à des artistes. Certains CDN envisagent par exemple des commandes passées à des équipes régionales, des créations adaptées avec leurs troupes permanentes, ou encore de nouvelles formes théâtrales in situ ou de proximité.
Le développement des résidences, de la recherche. Certains CDN réfléchissent à la mise en place de résidence de recherche ou de programmes de résidences spécifiques, à destination de compagnies locales ou invitées, avec lieu de travail, moyens de production et moyens techniques mutualisés.
L’augmentation des propositions en direction des écoles et la présence accrue des artistes dans les établissements scolaires. De nombreux CDN travaillent en ce sens, y compris en proposant des interventions pour de petits groupes dans les établissements ou la création de formes légères spécifiques.
Communication et Billetterie
Une grande partie des CDN travaille sur un report de parution de leurs brochures papiers en septembre, et sur la mise en ligne d’un préprogramme sur leurs sites internet en juin. D’autres CDN renoncent à la parution d’une brochure classique au profit de documents plus légers, plus réguliers, sous des formes diverses (dépliants semestriels, trimestriels ou mensuels, fanzines, commandes passées à des artistes) ou d’une communication dématérialisée, plus souple et plus régulière.
Une réflexion est également engagée sur la billetterie. Certains CDN remettent en cause les abonnements dans une période où l’engagement au préalable est rendu difficile par le manque de visibilité à long terme, d’autres proposent de remplacer les abonnements par des adhésions annuelles donnant accès à des tarifs réduits tout au long de la saison.
Conclusions temporaires
Ce premier bilan ne rassemble pas la totalité des réflexions et des hypothèses recueillies auprès des CDN. Il témoigne néanmoins, à un instant T, des possibilités de réaffirmation constructive de nos missions. Il permet par ailleurs, dans cette phase qui sera, pour tous, celle d’une expérimentation inventive de nos tâches, de reposer à nouveaux frais la question de l’évaluation.
Il va en effet de soi que l’ensemble des hypothèses énoncées ici ne sauraient se réduire aux logiques d’évaluation chiffrée et de rentabilité qui dominent aujourd’hui dans notre secteur, comme dans beaucoup d’autres, et qui masquent souvent la réalité des expériences conduites sous des statistiques de fréquentation ou de diffusion.
Si la crise actuelle devait avoir une vertu, ce serait moins dans le fait d’entraîner les outils que sont les CDN à la réinvention compulsive de leurs missions qu’à une reconsidération, par les partenaires publics, des capacités de ces maisons de création, à déployer, « en situation » et à partir des inventions de l’art, en écart aux seules injonctions du marché, les missions qui sont celles d’une politique publique des arts et de la culture.
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