La période de confinement étant sans doute amenée à se prolonger au-delà du délai annoncé, les enseignants commencent à adapter leurs pratiques. Au sein des Écoles Supérieures d’Art Dramatique comme de manière individuelle, ils inventent des manières de transmettre autrement. En ligne.
Dès l’annonce du confinement en France, le 17 mars, et même avant pour certaines, les Écoles Supérieures d’Art Dramatique ont commencé à réfléchir à des manières de poursuivre leur activité. À l’École du Théâtre National de Strasbourg (TNS) par exemple, « il a très vite été demandé à chaque référent pédagogique de nos deux promotions de proposer des solutions pour continuer à distance de travailler avec leurs élèves », témoigne Dominique Lecoyer, directrice des études. « Pour Stanislas Nordey, directeur du TNS et référent des élèves acteurs et metteurs en scène, et pour toute l’équipe, il est important de garder un lien artistique avec nos 52 élèves, qui travaillent ensemble à la façon d’une troupe », poursuit-elle au téléphone, avec une rapidité qui dit beaucoup du rythme de travail des derniers jours. Des efforts qui n’ont pas tardé à payer : grâce à la réactivité de chacun, l’école continue au TNS. Comme ailleurs.
Sur les bancs de la toile
Chacun chez soi, mais reliés par des groupes de messagerie instantanée, les comédiens, metteurs en scène ou encore scénographes en devenir du TNS pourront entre autres entamer avec l’auteur Roland Fichet un travail d’écriture initialement prévu pour le mois de mai. Leur répétiteur de chant assurera leur coaching à distance, et la metteure en scène Françoise Bloch partagera avec eux sa vidéothèque. Le scénographe Emmanuel Clolus va quant à lui commencer en ligne un travail fictif à partir de La Cerisaie. Rémy Barché et la Canadienne Rébecca Deraspe partageront leur journal de création, repensée pour la circonstance… « Si le confinement nous prive de choses essentielles au théâtre, nous avons tout de même quelques motifs de réjouissance : il nous permet aussi de nouer ou de renforcer des liens avec d’autres structures », ajoute Dominique Lecoyer. Avec le Ballet du Rhin notamment, dont le directeur Bruno Bouché a accepté d’inviter les élèves du TNS à rejoindre les siens pour l’entrainement de yoga et de barre qu’il organise via l’application de visioconférence Zoom, qui en ces temps de distance sociale connaît un grand succès.
Chaque École invente des solutions qui lui ressemblent. L’École supérieure de Théâtre de Bordeaux (Éstba) a ainsi mis en place des suivis différents pour ses deux cursus en cours : celui de sa 5ème promotion, et de sa toute nouvelle Classe Égalité des chances, année de préparation intensive aux concours des écoles supérieures d’art dramatique. Inscrits pour l’occasion à la formation en ligne ou « Mooc » de l’Académie Charles Dullin, les premiers pourront en suivre cinq modules, tout en prenant de l’avance sur un travail avec Baptiste Amann qui ne devait débuter qu’en juin. Les autres seront accompagnés de manière personnalisée par leurs deux professeurs principaux de ce dernier semestre, Bénédicte Simon et Denis Lejeune. « Cette situation est certes très difficile, mais elle nous permet de développer des relations approfondies avec chaque élève. Ce qui, je l’espère, perdurera lorsque nous pourrons tous nous retrouver. La découverte de l’Académie Charles Dullin est aussi très précieuse pour nous », affirme Franck Manzoni, directeur pédagogique de l’école. Pour enseigner malgré tout, les professeurs pensent à demain.
Plutôt théâtre, ou plutôt Feldenkrais ?
De nombreuses initiatives individuelles voient aussi le jour, que nous n’aurons pas la prétention de recenser. C’est en nous laissant aller aux hasards et aux mystères du net que nous avons rencontré Marielle Jovine. Une comédienne formée aux Cours Florent qui, après avoir vécu et travaillé pendant dix ans à Paris s’est installée à Marseille, où elle a décidé de transmettre aux plus jeunes ce qu’elle avait appris. Afin, dit-elle, « de les ouvrir aux réalités du théâtre, dont ils sont souvent éloignés ». Lorsque le confinement a été annoncé, elle a tout de suite ressenti le besoin de rester en contact avec ses élèves d’écoles primaires et de centres culturels qu’elle initie aux arts de la scène, et avec qui elle monte parfois des spectacles entre théâtre et opéra. Le mercredi 18 mars, elle met ainsi en ligne sa première vidéo sur Youtube. Au programme : des exercices de respiration et de diction, des mises en situation ludiques et un temps de relaxation. Dès la vidéo suivante – elle en postera une chaque mercredi – elle propose aussi à ses jeunes internautes un défi à relever. Face au succès rencontré, Marielle décide de diffuser ses cours à distance au-delà de son cercle d’élèves. Elle envisage de poursuivre cette première expérience numérique après le confinement, pour permettre à ses comédiens en herbe de s’entraîner à la maison.
Lionel Gonzalez, co-fondateur avec Gina Calinieu de la compagnie Balagan retrouvé, a réagi autrement lorsqu’il a compris qu’il devrait renoncer à plusieurs représentations des Analphabètes ainsi qu’à une résidence de sa prochaine création avec Jeanne Candel. « Je me dis que c’est probablement l’occasion, de faire découvrir la méthode Feldenkrais, une méthode que je pratique et enseigne maintenant depuis plusieurs années », écrit-il dans un mail adressé à ses contacts dès le premier jour de confinement. Cette méthode d’éducation somatique, ou de « prise de conscience par le mouvement », a selon lui « l’avantage de pouvoir être pratiquée par tous dans un très petit espace – 2 à 3 mètres carrés – et de procurer un bien-être immédiat ».
Le succès est là aussi au rendez-vous : dès son troisième cours gratuit, pas moins de 80 personnes se sont inscrites à sa mailing list (http://eepurl.com/gCKITD) sont au rendez-vous sur Zoom à 10h30. Et les demandes ne cessent d’affluer. Comme nos interlocuteurs précédents, il envisage de poursuivre l’aventure une fois achevée cette période difficile. « J’avais depuis longtemps l’envie de donner des cours réguliers de Feldenkrais. Mais les tournées m’empêchent de le faire d’une manière classique… Pourquoi pas à distance ? ». Lionel Gonzalez réfléchit aussi à la mise en place d’un cours d’analyse dramatique – au sens des pays de l’Est – en direction des élèves comédiens. « Ils ont rarement le temps à l’école pour ce type de travail. Je pense que c’est l’occasion ». En matière d’enseignement théâtral comme dans bien d’autres domaines, il y aura un avant et un après corona.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Oui ! Nos lieux d’enseignement doivent rester ouverts dans le respect des gestes barrières.
Aujourd’hui plus que jamais cette asphyxie risque d’être dévastatrice tant pour le spectacle vivant que pour ses élèves.
Et c’est bien là que le mot « vivant » prend tout son sens.
Préserver la vie c’est aussi préserver l’expression, l’émotion, l’imagination, le partage, la continuité.
Laissez nos lieux d’enseignement ouverts !