Dès l’annonce du confinement, de nombreuses initiatives artistiques voient le jour. Forcés de s’adapter, musiciens, auteurs, metteurs en scène ou plasticiens mettent l’art en ligne de manières diverses. La plateforme Agora-Off est l’une de ces belles démarches, que nous nous engageons à partager avec vous tout au long de la période de fermeture des lieux culturels. Son campus et son Festival des Arts confinés nous promettent de belles heures devant nos écrans.
« Que fait l’art lorsqu’il est aux confins, aux limites ? Comment provoquer encore et toujours une stimulation de l’imaginaire, celui qui nous amène à penser, à interroger notre nature ? ». Formulées par les deux musiciens et « artistes aventuriers » complices Pierre-Marie Braye-Weppe et Arnaud Methivier – PEM et NANO de leurs noms de scène – dès le 15 mars, soit le lendemain de l’annonce par le gouvernement de la fermeture des lieux culturels, ces questions débouchent très vite sur une idée. Sur la création d’un Festival des Arts confinés, dont l’objectif est simple : « continuer de cultiver, enrichir, transmettre, questionner ». N’étant ni l’un ni l’autre des génies de l’informatique, ils appellent le fils d’Arnaud Méthivier, Antoine, étudiant en 3ème année de l’École Supérieure d’Art d’Annecy Alpes (ESAAA). Et là, surprise : la veille au soir, Antoine a eu une idée similaire. Le lendemain matin, après une folle nuit de codage, la plateforme internet Agora Off était née. Prête à accueillir un campus et un festival virtuels.
L’art sur la toile comme en pleine nature
En matière de « curation » – il préfère ce terme à celui de « programmation », qu’il juge trop vertical –, l’accordéoniste Arnaud Méthivier n’en est pas à son coup d’essai. Si avec le violoniste Pierre-Marie Braye-Weppe, il a pu imaginer si rapidement les grandes lignes d’un festival au temps du corona, c’est que depuis Appietto en Corse où il vit et où il est actuellement confiné, il mène depuis de nombreuses années une réflexion sur la diffusion de l’art. Sur l’importance de le faire vivre dans la société, de manières diverses, adaptées aux contextes. Si son terrain de jeu favori est la pleine nature – depuis 4 ans, son festival Arti Muntagnera met par exemple la haute montagne corse à l’heure du spectacle vivant et des arts plastiques –, il n’a rien contre la toile lorsque les circonstances l’imposent. À condition de respecter une ligne éditoriale précise, et une exigence aussi grande qu’en temps plus normaux.
PEM n’est pas en reste en matière d’expériences artistiques tout-terrain. À travers les « Rencontres artistiques durables » qu’il organise lors de différents événements, il porte une réflexion sur la notion de festival. Parfois seul, parfois avec d’autres, il « ouvre les portes de son travail ». Il met en place un « laboratoire à ciel ouvert, pour établir une relation de personne à personne, pour rentrer dans l’intimité de la création, s’interroger ensemble avec l’artiste, et découvrir l’œuvre avec lui ». Le Festival des Arts confinés s’inscrit pour lui dans cette démarche. À travers la sélection d’œuvres nées en confinement qu’il réalise chaque jour avec NANO, il affirme son désir d’« agir contre le marché consumériste de l’art avec une proposition durable, qui laissera une empreinte un peu plus marquante, et qui fabriquera des souvenirs ». Depuis leur confinement, PEM et NANO pensent leurs disciplines avec leurs pairs du monde entier. Dans l’urgence, ils cherchent à cultiver ensemble l’art et le lien.
La plateforme de toutes les recherches confinées
La démarche suscite d’emblée l’enthousiasme des internautes. La vidéo de présentation du festival, puis la première œuvre de confinement postée sur la plateforme – le morceau Confine interprété par NANO et PEM, avant que celui-ci ne quitte la Corse pour rentrer se confiner à Paris – sont très largement vues et partagées sur les réseaux. Les trois premières œuvres diffusées, le 18 mars à 19h, sont d’excellent augure pour la suite. La lecture musicale Aux confins de l’acteur et aventurier artistique Julien Barret nous mène dans un Chili fantasmé, épique, métaphysique, où l’homme plonge en lui comme dans un fleuve « aux côtés des dauphins côtiers ». Lecture par la comédienne et metteure en scène Heidi-Éva Clavier d’un extrait d’Émily L. de Marguerite Duras, Voir dans la glace nous plonge avec une simple et forte image de glace fondant dans un évier dans un « tempo du confinement ». Tandis que dans sa Sonate pour des abeilles confinées, un NANO en combinaison offre à une ruche un morceau d’accordéon. C’est doux et c’est absurde. C’est ce qu’il nous faut.
De son côté, Antoine Méthivier accueille dans la partie « Campus » d’Agora Off des œuvres d’étudiants. Suite à un appel lancé à ses camarades de l’école d’Annecy et à d’autres, il sélectionne. Car s’il est ouvert à des travaux en cours, à des étapes de recherche, lui aussi souhaite partager des œuvres, des démarches de qualité. Agora Off, pour lui, doit être une œuvre à part entière. Collective, généreuse, elle témoigne de la situation au jour le jour. Et donnera une vision de son ensemble lors qu’elle repassera en « On » : une fois que les écoles, que les lieux culturels pourront à nouveau permettre la rencontre entre artistes et public. Au plus vite, espère-t-on. En attendant, que l’Agora virtuelle soit belle. Qu’elle fourmille.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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