Sur le plateau même de la grande salle de Nanterre-Amandiers, Gwenaël Morin et ses acteurs font résonner la logorrhée incantatoire d’Antonin Artaud dans un performance aussi véhémente que revigorante.
En ayant présenté une trilogie Sophocle en plein air et au point du jour ou en ayant reconstitué Paradise Now de la troupe américaine The Living Theater, Gwenaël Morin, fidèle aux Amandiers, a plus d’une fois prouvé son goût pour un théâtre formellement hors-normes, et sa puissante volonté de réactiver les dimensions organique et ritualisée d’un art qui réfléchit le sens et l’essence.
Cette fois, le metteur en scène convie acteurs et spectateurs sous la voûte d’un immense chapiteau blanc éclairé aux néons. Tous se confondent, se ressemblent, partageant et occupant l’espace commun inventé par Philippe Quesne comme une sorte de géant zeppelin ou de cathédrale immaculée invitant à se rassembler, à éprouver l’inconfort, l’aridité, la radicalité d’Artaud au cours d’un étrange cérémonial qui emprunte autant à la messe qu’à la foire.
La proposition de Gwenaël Morin a de géniale qu’elle ne se cantonne pas à un hommage poliment solennel, elle ne dresse pas un mausolée et peut même faire montre d’une distance amusée. Avec irrévérence, le metteur en scène ressuscite Artaud. Parfaitement incarné par un des comédiens singeant avec précision ses grommellements rauques et ses stridences aigrelettes. Enfin, la troupe s’empare de son attribut légendaire : une réplique ironiquement disproportionnée du célèbre marteau fait irruption sur scène.
Les acteurs, Lucie Brunet, Lucile Delzenne, François Gorrissen, Manu Laskar, Nicolas Le Bricquir, Nicole Mersey-Ortega et Richard Sammut, sortent d’une trappe de sous le plateau comme s’extirpant des limbes du théâtre pour finalement redevenir ombres à la fin de la représentation. En solo ou en chœur, ils sont remarquables de force et d’engagement. Leur manière très concrète, percutante, de donner à voir et à entendre, d’articuler et d’adresser une parole et une pensée ne manque jamais d’intensité. Ce que dit Artaud est confondant car symptomatique d’une véritable incapacité d’adhérer à la vie tout en faisant du théâtre une ressource vitale impressionnante. Sa prose cataclysmique, son geste, sont habités d’une irréductible tentation de destruction pour dire la souffrance d’exister et la nécessité de la prophétiser et de la performer. En voisinant avec la démence, le cri d’Artaud se montre soudainement tellement libre et salvateur.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
LE THÉÂTRE ET SON DOUBLE
Gwenaël Morin
TEXTE
« Le Théâtre et son double », Antonin Artaud, Éditions Gallimard, 1938
SCÉNOGRAPHIE
Philippe Quesne
DRAMATURGIE
Camille Louis
AVEC LA COLLABORATION DES AUTEURS
Lancelot Hamelin, Pacôme Thiellement, Camille de Toledo
PRODUCTION
Compagnie Gwenaël Morin / SAS Théâtre Permanent
COPRODUCTION
Nanterre-Amandiers, centre dramatique national, en cours.
La Compagnie Gwenaël Morin est conventionnée par le ministère de la culture / DRAC Auvergne-Rhône-Alpes et est soutenue par la ville de Lyon.Durée : 1 heure environ
Nanterre-Amandiers, centre dramatique national
Reprise du mardi 22 septembre au samedi 3 octobre 2020
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