Une jeune femme universitaire, spécialiste en sciences du cerveau, a suivi sur mari aux Etats-Unis, où il vient d’être nommé enseignant-chercheur dans une prestigieuse fac américaine. Elle a profité de la naissance de leur premier enfant et de son congé maternité pour l’accompagner sur ce campus, loin de ses amis et de sa famille. Malgré son humour et sa force mentale, cette solitude lui pèse.
Le jour où des cousins éloignés de son mari viennent lui rendre visite, pour célébrer l’arrivée de son nouveau-né, c’est l’occasion pour elle de se confier sur ses sentiments, parfois ambigus, au sujet de la maternité. La naissance de ce premier enfant est pour elle une véritable révolution. Oui, une révolution. Un épanouissement ? Pas sûr. La maternité est-elle vraiment un instinct ?
J’ai écrit ce monologue à la demande de Lolita Chammah que je connais… depuis maintenant presque vingt ans ! Nous nous sommes rencontrées toutes jeunes, Lolita était encore lycéenne – et nous nous retrouvons aujourd’hui avec nos vies de femmes et surtout de mères. Je trouve que cela a du sens, cette inscription de notre lien dans le temps.
Lorsqu’elle m’a demandé d’écrire pour elle un texte qu’elle porterait seule en scène, j’ai tout de suite eu l’image d’une jeune maman entièrement couverte de son propre lait.
Pourquoi cette image étrange ? Je ne sais pas… mais il était évident pour moi que je devais aller vers la fébrilité de Lolita, vers sa flamme étrange et inquiétante. Ensuite, j’ai compris que j’avais besoin d’écrire sur la maternité et sur les déliriums que j’avais pu traverser moi-même après mes accouchements.
En effet, après la naissance de mon premier enfant, j’ai eu pendant quelques heures ce qu’on appelle un « épisode délirant » durant lequel j’étais persuadée que ma fille et moi étions contaminées par un gaz invisible. Cela a duré toute une nuit et ce fut très éprouvant.
Évidemment, ce moment de folie totale était l’expression de mon angoisse face à mon nouveau statut de mère. J’avais l’impression que la responsabilité que l’on me donnait, celle de s’occuper d’un nouveau-né, était trop grande pour moi. J’avais l’impression d’être nulle et que je n’y arriverais jamais.
Je garde au plus profond de moi-même le souvenir de cette interrogation abyssale et d’une immense détresse face à mon nouveau rôle de mère. Mais je me dis aujourd’hui, avec le recul, qu’il y a avait quelque chose de comique dans cette situation délirante. C’est pourquoi
je voulais que la parole de la jeune femme dans La Visite passe sans cesse de la colère au rire – avec une énergie parfois proche du stand-up. Certes, la jeune femme balance ses vérités salées aux spectateurs, certes, elle n’est pas timorée sur la remise en cause de l’instinct maternel – mais elle nous fait parfois éclater de rire – ce qui est à mon sens très important, car il faut bien aider la médecine à couler…
Au-delà de ma propre histoire, je vois de plus en plus autour de moi des femmes sans enfants, qui osent affirmer qu’elles n’ont pas envie d’en avoir. Et je remarque que la société juge sévèrement ces femmes-là. Tout se passe comme si, encore de nos jours, la femmes sans enfants était dangereuse ou subversive. Je me suis intéressée à cette question-là, dont la revendication est très forte aux États- Unis par exemple. Elles s’appellent les Child free et s’interrogent sur la reconnaissance du droit à ne pas enfanter.
A partir de ces témoignages, j’ai imaginé une situation de visite à un nouveau-né – qui évidemment va vite devenir une arène, très loin des conventions sociales.
Anne Berest
La visite
Texte et mise en scène : Anne Berest
Avec : Lolita Chammah
Scénographie et costumes : Chantal de la Coste
Lumières : Chantal de la Coste, Bastien Courthieuproduction Théâtre du Rond-Point, 984 Productions, coproduction Scène nationale Châteauvallon-Libert, coréalisation Théâtre du Rond-Point.
DURÉE : 1H15
Théâtre 14
du 30 mai au 17 juin 2023
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