L’Opéra de Lyon programme au Théâtre de la Croix-Rousse une réjouissante nouvelle production de I was looking at the ceiling and then I saw the sky mise en scène par Eugen Jebeleanu dans l’esprit pop et iconoclaste d’une oeuvre revendicatrice et libératrice.
Plus proche de la comédie-musicale que de l’opéra, l’ouvrage de John Adams se présente d’une manière anti-académique comme une succession de songs, une vingtaine, pour lesquels le compositeur de Nixon of China ne délaisse pas son goût pour la musique minimaliste initiée par Glass et Reich mais s’éprend davantage des styles plus populaires et urbains que sont la musique de variété, le jazz, le funk, le rock, le blues. Fortement influencée par le Porgy and bess de Gershwin et le West side story de Bernstein, la partition incruste d’entraînants rythmes latino-américains à une écriture vocale plus classiquement lyrique. Son intrigue à la fois intime et sociale met en scène une galerie de jeunes californiens dont la vie bascule lors du tremblement de terre survenu au début de l’année 1994 à Los Angeles.
Immigration, conflits raciaux, identité sexuelle, jeunesse désœuvrée, liberté brimée, désir inavoué… les thèmes abordés dans I was looking paraissent d’une évidente affinité avec ceux que traite au théâtre l’artiste roumain Eugen Jebeleanu. « Ma démarche artistique est de donner voix à des individus anonymes, des non-héros qui n’appartiennent pas à la majorité et qui n’adhèrent pas à la culture dominante » déclare-t-il. La dénonciation de l’oppression et de l’exclusion, la célébration des minorités, la profonde empathie pour les marges et la pègre, étaient le moteur même des signataires de l’oeuvre : le compositeur John Adams et son complice acolyte le metteur en scène Peter Sellars, qui avec un militantisme éternellement teinté de jovialité, ont créé la pièce en 1995 à Berkeley et l’ont donnée peu après à la MC93 de Bobigny dans le cadre du festival d’Automne. Alors que la rue gronde et le repli sur soi gagne du terrain, que la liberté et l’altérité sont toujours menacées, le livret de la poétesse June Jordan qui condamne toutes les discriminations ne peut que demeurer d’une franche actualité.
En faisant le portrait d’une génération sans espoir ni perspective, la pièce donne la part belle aux individualités en mal de reconnaissance et en difficulté de s’assumer. Sur scène, se présente un savoureux melting-pot culturel et identitaire. Au cœur de l’histoire, un jeune flic, fier représentant d’un ordre outrancièrement réprimant, tombe amoureux de l’avocat d’un délinquant noir qu’il a fait coffrer pour une dérisoire effraction. Ainsi s’imbriquent turpitudes sentimentales et intrigues sociétales.
La mise en scène énergique et profondément humaine, met l’accent sur la dimension feuilletonesque du livret. Un décor fragmenté et étagé, où coexistent différentes pièces de maison comme une salle à manger, une chambre ou des toilettes, permet de renforcer le sentiment d’enfermement et de solitude dans lequel vivotent les personnages. Non sans une certaine trivialité et une généreuse sensualité, le travail proposé donne du relief à chaque personnage dans ses errements sentimentaux avec à la fois beaucoup de tendresse et d’humour.
Les jeunes solistes du Studio de l’Opéra de Lyon, tous aussi bons chanteurs qu’acteurs, sont accompagnés d’un ensemble instrumental placé au centre du plateau et mené par Vincent Renaud. Tous les artistes donnent une véloce et revigorante version de la partition. Colorées, électrisées, les mélodies sentimentales ou plus survoltées regorgent de vivacité. Grâce à eux, I was looking at the ceiling and then I saw the sky chante à nouveau la liberté de circuler, d’aimer, d’exister.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
I Was Looking At The Ceiling Then I Saw The Sky
composition John Adams | livret June Jordan | direction musicale Vincent Renaud | mise en scène Eugen Jebeleanu | Ensemble instrumental, Chanteurs du Studio de l’Opéra de Lyon | lumières François Menou | assistante à la mise en scène Gaëlle Hersantproduction: Opéra de Lyon | coréalisation: Théâtre de la Croix-Rousse – Lyon et La Criée – Théâtre National de Marseille
Durée: 2h
Théâtre de la Croix-Rousse — Grande Salle
13 › 23 février 2020
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !