Avec sa compagnie du Bredin, Laurent Vacher met en scène Presque égal à… de Jonas Hassen Khemiri. Une tragi-comédie grinçante sur les mécanismes de l’économie, sur leur logique d’exclusion, portée par une belle équipe d’acteurs.
Dans l’univers de l’auteur tuniso-suédois Jonas Hassen Khemiri, la figure de l’Autre, du différent, occupe une place centrale. Autour d’elle, se déploient des écritures très polyphonique. Des récits pleins de ruptures, de heurts, qui exigent beaucoup des metteurs en scène et des comédiens qui s’y penchent. Ils ne sont encore que quelques-uns en France, comme Michel Didym dès 2010 avec Invasion !, où un certain « Abulkasem » attise les peurs d’une société entière. Ou plus récemment comme Noémie Rosenblatt, qui a monté en 2018 J’appelle mes frères. Une réponse de l’auteur à un attentat terroriste perpétué à Stockholm en 2010, et surtout à la peur qu’il provoque chez les personnes issues de l’immigration, à leur sensation d’être suspects aux yeux de tous, pour rien. Avec sa compagnie du Bredin qu’il dirige depuis 15 ans, Laurent Vacher s’attèle à son tour à porter sur scène un texte de Jonas Hassen Khemiri, Presque égal à…, où l’étranger laisse place cette fois au pauvre. À l’exclu du système capitaliste.
Dans cette pièce en trois actes et vingt-sept scènes, vingt personnages subissent la crise économique. Et, chacun à sa manière, ils tentent de s’en sortir, de se trouver une place dans le mécanisme qui les laisse sur le bas-côté. Chez Laurent Vacher, six interprètes assument avec talent tous les rôles. À commencer par Quentin Baillot et Frédérique Loliée, qui ouvrent la pièce avec un dialogue entre le vieux chocolatier Caspar Van Houten et Mani, un jeune universitaire brillant préparant une thèse utopique visant rien moins qu’à briser le capitalisme de l’intérieur. Pour qui « l’histoire économique n’est pas ennuyeuse. Elle n’est pas sans âme. Elle n’est pas une série de théories et de graphes austères. Au contraire. L’histoire économique est faite d’excentriques, de libres penseurs, de fous ».
Entre stand up et incarnation, dans un registre comique qui laisse deviner des failles, des fragilités, les deux comédiens donnent la couleur ambiguë, hybride de Presque égal à… Ils posent les bases d’une structure labyrinthique, où apparence et réalité sont sans cesse mis en question. Manipulant des panneaux métalliques conçus par le scénographe Jean-Baptiste Bellon, les comédiens composent divers paysages tout en passant régulièrement d’un protagoniste à l’autre. D’un type de jeu à l’autre. Tandis que Frédérique Loliée et son compagnon assurent la transition d’une histoire à l’autre d’une façon brechtienne, avec des moments d’improvisation savoureux , plusieurs histoires de s’enchaînent, s’enchevêtrent. Celle du jeune Andrej (Alexandre Pallu), dont la recherche de travail dans les sciences économiques et le marketing ne donne rien. Celle de Martina (Odja Llorca), partagée entre sa révolte contre la richesse familiale et la tentation de s’y résoudre, ou encore celle de Freya (Marie-Aude Weiss), que la perte de son poste pousse au crime.
La précarité, la lutte pour une situation meilleure, tisse entre tous les personnages des correspondances. De même que le personnage de Pieter, un SDF que tous côtoient, et sur lequel tous projettent leurs fantasmes. Se mêlant souvent au public, Pierre Hiessler qui incarne ce sans-abri participe d’une porosité entre salle et scène, alors que d’autres personnages contribuent plutôt à renforcer le 4ème mur. D’où la facture composite de la pièce, avec laquelle les comédiens jouent habilement, en s’emparant des contrastes du texte sans oublier de rappeler l’ici et maintenant du plateau, avec humour. Ce qui leur permet de faire des fragments de Presque égal à… une fresque sociale vivante. À laquelle on peut toutefois reprocher, dans le fond, de ne pas aller beaucoup au-delà d’une dénonciation assez classique des méfaits du capitalisme.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Presque égal à…de Jonas Hassen Khemiri
Traduit du suédois par Marianne Ségol-Samoy
Editions Théâtrales, éditeur et agent de l’auteur
Mise en scène : Laurent Vacher
Avec : Quentin Baillot, Pierre Hiessler, Odja Llorca, Frédérique Loliée, Alexandre Pallu, Marie- Aude Weiss
Collaboration artistique : Faustine Noguès
Scénographie : Jean-Baptiste Bellon assisté d’Alice Girardet
Lumière : Victor EgéaSon et musique : Michael Schaller
Costumes : Virginie Alba Administration : Véronique Felenbok et Marion Arteil
Presse : Olivier Saksik
Diffusion : Marie Leroy
Production : Compagnie du Bredin
Coproduction : Les Colporteurs : Château Rouge – Annemasse ; La Maison des Arts du Léman, Thonon-Evian-Publier ; Poche, Genève ; Théâtre Kléber-Méleau, Renens-Lausanne, avec le soutien du Conseil du Léman, La Manufacture – CDN Nancy Lorraine, Espace BMK – Metz Accueil en résidence : La Manufacture – CDN Nancy Lorraine, Espace BMK – Metz, les Tréteaux de France
Avec le soutien de la SPEDIDAM. « LA SPEDIDAM est une société de perception et de distribution qui gère les droits des artistes interprètes en matière d’enregistrement, de diffusion et de réutilisation des prestations enregistrées »
La Cie du Bredin est subventionnée par le Ministère de la Culture – DRAC Grand Est et par la Région Grand EstDurée : 2h avec entracte
Avignon Off 2021
6 > 25 juillet –
La Manufacture Patinoire
16h15
relâche 12 et 19 juillet
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