Pour Linda Blanchet, le « meurtre » du robot autostoppeur Hitchbot, en 2015 à Philadelphie, est beaucoup plus qu’un fait divers. Relatant son enquête sur le terrain, Killing robots questionne le rapport de l’homme à l’intelligence artificielle. Un travail intelligent, qui aurait gagné à être nourri par des portraits et témoignages plus fouillés.
Assis autour d’une table recouverte de photos, les comédiens Calypso Bacquet, Mathieu Montanier, Angélique Zaini et le rappeur et musicien Mike Ladd entretiennent une conversation animée d’abord inaudible pour le public. Retour de vacances en famille, entre amis ? Nullement. « Nous nous interrogions sur l’intelligence artificielle. Lorsqu’un jour, nous sommes tombés sur un article relatant le ‘’meurtre’’ du robot autostoppeur Hitchbot en 2015 », dit en substance Calypso Baquet en guise d’introduction. D’emblée, nous sommes loin des sentiers battus de la fiction familiale, avec son lot de secrets, d’hypocrisie. Conçu et écrit par Linda Blanchet, Killing robots documente le parcours d’un robot conçu par les chercheurs David Smith et Frauker Zeller pour être un compagnon de voyage à la conversation agréable, à l’aspect rassurant. Et questionne la capacité du théâtre à rendre compte du réel.
Créée au Théâtre National de Nice, qui accompagne l’artiste depuis la création de sa compagnie Hanna R en 2007, cette pièce s’inscrit dans la continuité d’un travail singulier autour de l’autofiction. Après Le Voyage de Miriam Frisch (2017), où elle s’emparait du témoignage d’une jeune Allemande partie sept semaines en kibboutz pour se réapproprier son histoire personnelle, Linda Blanchet mêle les outils habituels du théâtre documentaire – des entretiens réalisés sur le terrain, des photos et autres documents récoltés sur place – au récit de l’enquête de la compagnie. Aux commentaires des comédiens, qui rythment la reconstitution du trajet de Hitchbot depuis sa conception au Canada jusqu’à son démembrement à Philadelphie, et permettent des retours constants au présent du plateau.
Dans Killing robots, le théâtre avoue ses fragilités – les interprètes expriment beaucoup plus de doutes que de certitudes, aussi bien concernant le robot que leur propre narration –, et c’est là sa force principale. Chaque document, et même l’entrée en scène d’un sosie de Hitchbot construit par l’équipe Héphaïstos de l’INRIA Sophia-Antipolis, est accompagné des tâtonnements, des expériences de l’équipe. Grâce à ses allers-retours permanents entre le présent de la scène et le passé proche du voyage sur les traces de Hitchbot, Linda Blanchet créée un espace-temps hybride, ouvert à toutes les pensées, à toutes les analyses. Lesquelles se succèdent de manière très fluide pendant les 80 minutes du spectacle, qui forment toutefois un cadre assez serré pour toutes les histoires qui s’y côtoient et s’y entremêlent.
À travers les vidéos réalisées par l’équipe, les dialogues recueillis et interprétés sur scène par les comédiens et les photos que prenait Hitchbot toutes les 20 minutes sur sa route et chez les nombreuses personnes qui l’ont accueilli dans leur foyer, Killing robots porte à notre connaissance des fragments de quotidiens perturbés par l’arrivée du robot. Souvent singulières, ces paroles et images composent un riche paysage général, où l’on aurait toutefois aimé voir émerger ici un portrait plus complet, là un témoignage plus fouillé. Si elles ont le mérite de créer des ruptures, de renforcer la théâtralité de l’ensemble, les interventions rappées de Mike Ladd et les conversations entre les comédiens et le robot se font au détriment de cette profondeur. Elles bornent aussi l’étrange, le trouble que suscitent les nombreuses photos projetées sur la surface de la caravane qui, avec la table citée plus tôt, constitue l’unique décor de Killing robots.
Qui a tué Hitchbot ? La question, heureusement, restera sans réponse. Plus ou moins plausibles, toutes les hypothèses formulées par les comédiens se mêlent en un délire interprétatif qui n’est pas sans faire penser au célèbre roman policier d’Agatha Christie. Relatant un acte de violence gratuit envers un robot, Linda Blanchet fait planer une ombre de culpabilité sur la scène, qui aurait elle aussi pu être creusée davantage, mais qui ouvre la voie à la réflexion et à l’imaginaire.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Killing robots
Conception et écriture sous la direction de:Linda Blanchet
Avec : Calypso Baquey, Mike Ladd, Mathieu Montanier, Angélique Zaini, le robot HitchBot 2
Collaborations artistiques : Gabor Rassov, Ariane Boumendil
Conseillers scientifiques : Dr Frauke Zelleret DrDavid Harris Smith
Robotique : Le robot a été développé par l’équipe Héphaïstos de l’INRIA Sophia-Antipolis
Intelligence artificielle : Gunther Cox
Scénographie : Bénédicte Jolys
Musique : Mike Ladd
Vidéo: Linda Blanchet
Coproduction : Compagnie Hanna R, Théâtre National de Nice–CDN Côte d’Azur, Pôle des Arts de la scène -Friche de la Belle de Mai, Réseau Traverses –Association de structures de diffusion et de soutien à la création du spectacle vivant en région PACA, Centre des Arts d’Enghien-les-Bains
Résidences et soutien : Centre des Arts d’Enghien-les-Bains,Théâtre la Joliette -scène conventionnée pour les écritures contemporaines (Marseille), Théâtre Paris-Villette, Théâtre National de Nice –CDN Côte d’Azur, Fabrique MimonDurée : 1h20
Théâtre National de Nice
Du 6 au 9 novembre 2019)Le Lieu Unique (Nantes)
Les 13 et 14 novembre 2019Centre des Arts d’Enghien-les Bains
Le 16 novembre 2019Théâtre Nouvelle Génération (Lyon)
Du 4 au 6 février 2020Le Periscope (Nîmes)
Le 13 mars 2020Villefranche-sur-Saône
Le 17 mars 2020Ville de Cannes
Le 20 mars 2020Vitrolles
Les 2 et 3 avril 2020
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