3 Annonciations pour le temps présent



Photo Marc Domage

Au TNB, Pascal Rambert donne naissance à un triptyque prophétique, magnétique et exigeant. S’y entrelacent et s’y confondent les maux des femmes et du monde, dans une veine esthétique d’inspiration castellucienne.

Au fil des années, on croyait avoir tout compris du prolifique Pascal Rambert, de son geste théâtral, de sa capacité, souvent sublime, à mettre les maux en mots. Inspirées par ses fidèles comédiens, par les tourments amoureux (Clôture de l’amour, Reconstitution, Argument), familiaux (Soeurs, Architecture) ou existentiels (Répétition, Actrice), ses œuvres les plus récentes tournaient régulièrement à l’affrontement monologué, capable de faire jaillir des étincelles où pouvaient se refléter certaines douleurs intimes. Il en va tout autrement, ou presque, avec 3 Annonciations, dont seul l’avenir dira s’il fait office de virage, ou de simple pas de côté, dans la trajectoire artistique du dramaturge et metteur en scène.

La source de ce jaillissement littéraire, Pascal Rambert l’a trouvée à Venise. Au cours d’une Biennale, où il était convié pour donner une masterclass à de jeunes artistes venus du monde entier, l’auteur déambule d’église en église et s’abreuve d’art italien, jusqu’à se laisser envoûter par l’un de ses motifs récurrents, l’Annonciation. De cette rencontre, quasi mystique, avec l’ange Gabriel et la Vierge Marie, il tire son propre triptyque annonciateur qu’il décide de confier à un trio de comédiennes qu’il connait bien : la Française Audrey Bonnet, l’Italienne Silvia Costa et l’Espagnole Bárbara Lennie. Au long de ces trois monologues performatifs, en forme d’oracles prophétiques, se dessine un double et trouble voyage temporel et spatial, des promesses de la gestation et de la naissance à l’apocalypse du monde, du Quattrocento italien à la Semaine Sainte espagnole, de la femme qui se lève et combat à la mère qui désespère et survit.

Exprimées dans les langues maternelles des comédiennes, respectivement ange, vierge et astronaute, ces adresses intérieures et extérieures ont les propriétés d’un matériau liquide, à la fois fluide et insaisissable. Construit sans aucune ponctuation – exceptés quelques points d’interrogation –, le texte, qui semble procéder d’un seul et même mouvement, se nourrir de sa force et de ses doutes intrinsèques, rayonne par sa radicalité formelle. Il impose une attention de tous les instants pour capter, çà et là, quelques fragments, et se laisser emporter par le flux aussi hypnotique que majestueux de la langue. Ce n’est qu’à ce prix – que d’aucuns n’accepteront pas de payer – que ces 3 Annonciations donnent accès à leur beauté, à leur flot de craintes et d’espoirs, de combats passés, présents et à venir, de sursauts féministes et de sombres augures.

Aux commandes de cet ardu substrat, Audrey Bonnet, Silvia Costa et Bárbara Lennie cheminent avec la grâce mystérieuse de ces prophètes dotés d’une longueur d’avance. Portées par une puissance esthétique, quasi picturale, qu’un Romeo Castellucci – un temps partie prenante du projet – ne renierait pas, elles se transforment en icônes, magnifiques et spectrales, capables de fendre l’obscurité dans laquelle le monde est plongé. Une force qu’elles puisent dans les mots de Pascal Rambert, bien sûr, mais aussi dans les lumières d’Yves Godin et les costumes d’Anaïs Romand, piliers essentiels de la réussite plastique de ce triptyque scénique, où la lutte des femmes et celle du monde s’entrelacent et se confondent.

Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr

3 Annonciations
Texte et mise en scène Pascal Rambert
Avec Audrey Bonnet, Silvia Costa, Bárbara Lennie en alternance avec Itsaso Arana
Espace Pascal Rambert et Yves Godin
Lumière Yves Godin
Costumes Anaïs Romand
Musique Alexandre Meyer
Collaboratrice artistique Pauline Roussille
Traduction espagnole Coto Adánez Del Hoyo
Traduction italienne Chiara Elefante

Production déléguée structure production
Coproduction Théâtre National de Bretagne, Scène nationale du Sud-Aquitain, Théâtre des Bouffes du Nord

Le texte 3 Annonciations est à paraître aux éditions Les Solitaires Intempestifs.

Durée : 1h30

Théâtre National de Chaillot
du 1er au 4 février 2023