La metteure en scène et dramaturge Amahí Camilla Saraceni adapte au Théâtre 14, Le Testament de Marie de Colm Tóibín avec un dispositif musical singulier signé Alvise Sinivia et l’excellente comédienne Vittoria Scognamiglio.
Il y a d’abord cette scénographie baignée dans une lumière ouatée qui ressemble davantage à une installation d’art plastique qu’à un décor de théâtre ; son étrangeté évoque les belles bizarreries exposées au musée de la Chasse et de la Nature, à Paris. On reconnaît trois tables d’harmonie de piano, curieusement démantelées aux extrémités du plateau. On distingue aussi une multitude de fils en nylon reliant les cordes de l’instrument suspendue au-dessus du plateau comme une toile d’araignée. Et l’on se demande bien quels sons peuvent être produits par cette création singulière signée par l’ancien pensionnaire de la Villa Médicis à Rome Alvise Sinivia, compositeur, performeur et inventeur un peu fou.
Il faut attendre l’entrée de Vittoria Scognamiglio, grande comédienne italienne, repérée au cinéma chez Bertrand Bonello, Emmanuelle Mouret et Jean-Pierre Daroussin, aperçue au théâtre sous la direction de Thierry Klifa et Dominique Borg. C’est elle qui donne le ton et le tempo, c’est elle qui joue et porte l’histoire. Les deux histoires à vrai dire. La sienne ; comment, jeune napolitaine, elle est « montée » en train à Paris pour devenir actrice. Puis celle de la vierge Marie ; comment la mère du Christ a vécu l’éloignement puis la condamnation à mort de son fils à Jérusalem, dans sa chair. La première a été écrite pour l’occasion. La seconde est l’adaptation du roman Le Testament de Marie, de l’écrivain et journaliste irlandais Colm Tóibín. Ce texte étonnant donne la parole à une femme représentée à l’infini et sous toutes ses coutures. Mais jusqu’ici, toujours muette.
C’est une pièce qui ressemble à l’œuvre d’un tisserand. Et c’est précisément ce qui fait son charme. Dans une ancienne vie, la metteure en scène et dramaturge argentine Amahí Camilla Saraceni était d’ailleurs créatrice de mode. Ici, elle joue avec les entrelacs des cultures et des genres mêlant le français et l’italien, le judaïsme et le catholicisme, la gouaille et la solennité, le polar et le biblique, le féminisme et la douleur, et surtout, le son et le mouvement. Ponctuant le récit de l’actrice, Alvise Sinivia danse tout de noir vêtu entre les cordes, qu’il vient frotter, pincer, percuter. Le dispositif donne l’impression que la lunaire trentenaire possède des pouvoirs, la musique devenant le prolongement naturel de son envoûtante chorégraphie.
Il s’en dégage quelque chose de dérangeant, de presque inquiétant. Il est inhabituel de voir un tel instrument et d’entendre de telles dissonances. Mais il est aussi inhabituel d’entendre la parole de Marie. En déplaçant le point de vue des disciples à la mère, le Christ est désacralisé, mais en même temps humanisé, critiqué et forcément regretté. Les séquences musicales sont un peu longues à la fin du spectacle ; c’est une partition difficile que propose Alvise Sinivia. Mais le magnétisme qu’exerce Vittoria Scognamiglio délicatement dirigée par Amahí Camilla Saraceni et la singularité du dispositif scénique nous hantent bien après la représentation.
Igor Hansen-Love – sceneweb.fr
Una Madre
Texte d’après Le Testament de Marie de Colm Tòibìn
Mise en scène et dramaturgie Amahì Saraceni
Avec Vittoria Scognamiglio, Alvise Sinivia et Éloïse Vereecken
Musique et création du dispositif musical Alvise Sinivia
Scénographie Franck Jamin avec la collaboration d’Anabel Strehaiano
Création lumières Éric Wurtz avec la collaboration de Carlo Menè
Son Clément Hubert avec la collaboration de Renato Barattucci Costumes Consuelo Zoelly
Traduction et adaptation Andrea De Luca, Vittoria Scognamiglio, Amahí Saraceni
Texte en français dans la traduction de Anna Gibson Introduction en Français Vittoria Scognamiglio
Construction des décors Ricardo Taborrelli et Francesco Cristini
Diffusion Marco Cicolini
Durée : 1h15
Théâtre 14, Paris
du 8 au 19 mars 2022
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