Sur une planète qui court désespérément vers sa fin, le si délicat Cirque Trottola poursuit, avec cette cinquième création, sa quête du beau et du fragile au son d’un orgue qui enveloppe le trio de clowns et d’acrobates. Du grand art.
Il n’y a pas dans ce Strano (« étrange » en italien) de surprise monumentale comme la cloche si lourde sortie du tréfonds de la piste de Campana. Mais il y a, une nouvelle fois, l’esprit du Cirque Trottola et ses trouvailles scéniques impressionnantes autant que d’une grande finesse pour dire le désenchantement et continuer, dans des gestes à la fois vains et vitaux, à créer. C’est leur seule façon de tenir debout quand tout, autour, incite à courber l’échine.
Car ils résistent sous ce chapiteau de près de 300 places où le public est pour une fois placé en fer à cheval et non de façon complètement circulaire. Les voilà ces trois « hussards », une épée à la main, allant de l’avant. Samuel Legal a rejoint les fondateurs de la compagnie, Bonaventure Gacon, et Titoune dont l’âge (la quarantaine pour lui et même le début de la cinquantaine pour elle) donne encore un peu plus d’épaisseur à leurs personnages. Ils ne renoncent pas à leur spécialité – elle est toujours une trapéziste hors pair dans des utilisations inédites et si joueuse de son agrès – mais ils prennent aussi le temps d’installer leurs situations, comme alourdis par le monde malade sans que jamais leur spectacle ne s’affadisse. C’est un équilibre de haut vol à l’image de la dernière séquence sur une échelle tournoyante où il est question à la fois de trouver la bonne position afin que l’autre puisse avoir la sienne et aussi et de faire corps avec l’engin pour un final étourdissant.
Si l’effet ne vient cette fois-ci pas des bas-fonds, c’est le mur de scène qui est une malle aux trésors avec un orgue qui s’offre au public par une étonnante inclinaison de plateau. Là encore, il est question de construire des équilibres, comment rester ancrer dans le sol quand l’horizon est si flou ? Avec cet instrument massif, la couleur musicale de Strano est bien moins enjouée que celle de Campana, comme en témoigne cette soldate à la taille disproportionnée (probablement juchée sur un de ses camarades), affublée d’un casque métallique et d’un drapeau blanc qui a perdu son éclat manipulé sans conviction ; son sifflet ne peut plus faire obéir quiconque : c’est un vieux sifflet serpentin d’une fête probablement finie. La soldate elle-même se dissout au sol dans ce monde invertébré – car sans colonne vertébrale – qu’observent les Trottola.
Ils tentent bien de faire des colonnes humaines à trois, avec malice mais rien ne tient longtemps. Leurs corps sont des accordéons qui se plient, se déplient les uns sur les autres, ondulent et jubilent quand, l’espace d’un instant, Titoune peut lever les bras et tutoyer l’ossature du chapiteau dont Bonaventure fait le tour suspendu à des crochets qu’il déplace un à un. Jamais ils ne cherchent à faire exploit et pourtant, dans chaque scène, ils se renouvellent.
« Le but de notre voyage est incertain. On n’avait pas fini d’arriver et ça on le savait. On n’avait pas été lâches, on a fait ce qu’on a pu » dit Bonaventure dans l’une de ses interventions au passé dans ce spectacle où il fait le constat que « tout ce vacarme, ce raffut n’avait servi à rien ».
Alors puisqu’au dehors tout est foutu, au-dedans, Bonaventure qui reprend son costume de clown Boudu (son solo Par le Boudu tourne toujours), râle, cogne sa planche au rideau de tôle ondulée du décor. Que construisent-ils ? Le mystère vaut d’être préservé. Car, dans leurs errances, en claudiquant, en glissant comme des mômes ou en s’élevant dans les airs, ils s’amusent, sur une balançoire, avec un nez rouge. Ils jouent avec une tendresse magnifique à l’instar du prénom dont est affublée Titoune : Rififi. Comme un personnage de BD et comme les guerres et les bagarres qui transpirent dans ce Strano tout juste né.
www.sceneweb.fr – Nadja Pobel
Strano
Créé et interprété par Titoune et Bonaventure GaconMusicien : Samuel Legal
Compositions musicales : Samuel Legal, Jean-Sébastien Bach, César Franck, Mauricio Kagel, Charles-Marie Widor
Régie générale : Bonaventure Gacon
Régie piste, son et lumière : Pierre Le Gouallec en alternance avec Sébastien Brun, Baptiste Heintz
Création sonore : Clément Rousseaux
Costumes : Nadia Genez
Conseillers techniques, artistiques et acrobatiques : Filléas de Block, François Derobert, Michaël Pallandre, Nicolas Picot, Dimitri Jourde, Caroline Frachet
Construction chapiteau : Atelier Gest & OrtonaProduction : Cirque Trottola – La Toupie
Marc Délhiat – production / Geneviève Clavelin – diffusion / Laura Trappier – administrationCoproductions : Les 2 Scènes, scène nationale de Besançon, L’Agora, Pôle National Cirque de Boulazac – Aquitaine, L’Azimut – Antony/Châtenay-Malabry, Pôle National Cirque en Île-de-France, Le Carré Magique – Pôle National Cirque en Bretagne – Lannion Trégor, Le CENTQUATRE – Paris, Centro di produzione BlicunQue Nice – Grugliasco (Turin/Italie), Cirque Jules Verne – Pôle National Cirque et Arts de la Rue – Amiens, CREAC – La Cité Cirque de Bègles, Espaces Pluriels scène conventionnée d’intérêt national Art et création Danse – Pau, L’Estive – scène nationale de Foix et de l’Ariège, Latitude 50 – pôle des arts du cirque et de la rue – Marchin (Belgique), Le Palc – pôle national cirque – Châlons-en-Champagne – Grand Est, Le Prato, pôle national cirque – Lille, Théâtre de Cornouaille, scène nationale – Quimper, Le Théâtre de Lorient – centre dramatique national, Théâtre-Sénart, scène nationale, La Verrerie d’Alès – PNC Occitanie, et la Scène nationale du Grand Narbonne avec le soutien du FONDOC – Fonds de soutien à la création contemporaine en Occitanie-Pyrénées Méditerranée
Accueils en résidence : Le Prato, pôle national cirque – Lille, La Griotte – Die
Aides et subventions : Ministère de la Culture – DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, Ministère de la Culture – DGCA / aide à la création nationale cirque, SACEM / aide à la commande et à la production de concert – musique contemporaine, SPEDIDAM
Durée : 1h15
Au Festival des 7 Collines – Saint-Etienne (42)
Du 30 juin au 8 juillet 2024Aux Deux Scènes, scène nationale – Besançon (25)
Du 6 au 20 septembreA L’Azimut – Antony / Châtenay-Malabry (92)
Du 9 au 20 octobreA Vidy-Lausanne (Suisse)
Du 30 octobre au 10 novembreAu CentQuatre – Paris
Du 3 au 21 décembre
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