Après Tartuffe-Théorème, l’ancienne directrice de La Criée de Marseille met en scène Xavier Gallais en Dom Juan sadien et insolent, oubliant dans le même temps d’actualiser le séducteur invétéré.
La metteuse en scène, écrivaine et plasticienne poursuit son investigation autour de la figure de l’homme prédateur. C’est évidemment la figure de Dom Juan qui s’impose après celle du Tartuffe. Loin de déboulonner le séducteur à la façon de David Bobée qui l’avait magistralement fait tomber de son piédestal dans une création de 2023, Macha Makeïeff transpose le blasphémateur au XVIIIe siècle en libertin scandaleux et oisif. Ici, Dom Juan est transposé en marquis de Sade (Donatien Alphonse François de Sade, 1740-1814). Infréquentable, violent, misogyne, libertin et penseur de la liberté, athée revendiqué, homme de lettres emprisonné, il fut condamné à mort pour blasphème.
Enfermé dans un intérieur bourgeois, Dom Juan n’est plus un aventureux séducteur déchu sur les routes de l’exil, mais un pantouflard capricieux vautré dans ses soieries, alternant toute la journée entre sa couche et sa table. Ici la menace, le combat et l’amour interviennent à travers les multiples portes qui en claquant trouent le vaste mur tapissé qui se dresse sur le plateau, rempart derrière lequel Dom Juan fuit ses responsabilités et le regard de la morale extérieure. Entre les mains de Macha Makeïeff, Dom Juan comme animal de théâtre narcissique, se donne le plaisir de sa propre représentation de prédateur en action. Comme lorsque la scène de séduction de Charlotte et de Mathurine se joue sur des tréteaux montés dans le salon du libertin. L’éternel séducteur devient un vulgaire Don Quichotte, isolé de tous, élucubrant sans fin sur ses frasques, Sganarelle comme seul public contraint.
Cependant, en refusant d’en faire ni un penseur de la liberté, ni un prédateur repenti, mais un baroque reclus et vulnérable, “drapé d’un élégant cynisme transgressif”, Macha Makeïeff semble refuser dans le même temps ses enjeux contemporains, ceux de l’emprise, de la prédation et de l’oppression. En assumant qu’à demi de représenter les parties libertines qui ont lieu chez le séducteur, en refusant de faire d’Elvire autre chose que “la maîtresse d’un complot qui fait triompher la vengeance”, figure ici ni puissante, ni touchante, seulement digne plutôt qu’éplorée, rien de neuf ne transparaît de cette figure maintes fois énoncée. Même l’amitié sensuelle entre Sganarelle et Dom Juan se contente d’être timidement effleurée.
En portant comme “figure du dérèglement” ce marquis de Sade “enfermé, traqué, empêché, exalté, embastillé” et en assignant le récit aux références d’un Ancien Régime comme une “une société au bord du gouffre, sur le point de craquer, une aristocratie qui veut effacer “le grand seigneur méchant homme” qui la met en danger”, la proposition manque dans le même temps d’en dessiner de nouveaux contours.
Ni les Lemon Twigs en ouverture, ni une Elvire en pantalon ne suffiront à faire de ce Dom Juan une proposition moderne, qui refuse d’en faire un monstre puisque sa chute est burlesque, et refuse d’en faire un précieux malmené, puisque ses larmes sont cyniques.
En refusant la nécessaire étude de la violence composante de la nature humaine, Macha Makeïeff évite (à dessein ?) de poser la question de la contemporanéité de la figure du séducteur abusif, qui l’est pourtant, préférant dessiner “la jouissance jusqu’au Mal et le mystère masculin” pour n’en dire finalement rien de nouveau. La proposition laisse le public face à un “jeu de miroir baroque, cruel et délicieux” seul juge de la vérité qui apparaît ou qui échappe. L’ambiguïté de la représentation à bon dos.
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
Dom Juan
de Molière
mise en scène, décor et costumes Macha Makeïeff
avec Xavier Gallais, Joaquim Fossi, Khadija Kouyaté, Xaverine Lefebvre, Anthony Moudir, Irina Solano, Pascal Ternisien, Vincent Winterhalter et la mezzo-soprano Jeanne-Marie Lévylumière Jean Bellorini assisté de Olivier Tisseyre
son Sébastien Trouvé assisté de Jérémie Tison
maquillage, perruques Cécile Kretschmar
mouvement Guillaume Siard
toile peinte (clavecin) Félix Deschamps Mak
régie générale André Neri
régie plateau Marine Helmlinger
machiniste accessoiriste Marine Martin
assistante mise en scène Lucile Lacaze
assistanat à la scénographie Nina Coulais
assistanat aux costumes Laura Garnier
stagiaire technique Joamin Vasseur
stagiaire Louise Chatelaincoordination Mathieu Gerin
administration Pauline Ranchin
diffusion Pascale Boeglin-Rodierconstruction des décors et confection des costumes les ateliers du TNP
construction des accessoires DTMS Machiniste Constructeur du Lycée professionnel Jules Verne – Sartrouvillela pièce est parue aux éditions Gallimard, collection Folio théâtre.
production Compagnie MadeMoiselle – Macha Makeïeff
coproduction Théâtre National Populaire ; Théâtre national de Nice ; Châteauvallon-Liberté – scène nationale ; La Criée – Théâtre national de Marseille ; Les Théâtres, Aix-en-Provence
avec le soutien du Dispositif d’Insertion de l’ÉCOLE DU NORD, financé par le Ministère de la Culture et la Région Hauts-de-France
avec le soutien du dispositif d’insertion professionnelle de l’ENSATT
avec le soutien de Arsud
avec le soutien du Pavillon Bosio, École supérieure d’arts plastiques de Monaco
la compagnie MadeMoiselle est soutenue par le Ministère de la Culture
Durée : 2 h 15TNP Villeurbanne
du samedi 9 mars au vendredi 22 mars 2024
Grand théâtre • salle Roger-Planchon
du mardi au samedi à 20 h sauf jeudi à 19 h 30, dimanche à 15 h 30, relâche le lundidu 23 avril au 19 mai
Odéon – Paris
Heureusement qu’elle a abandonné la modernité afin de respecter le texte et son époque et faire de ce Dom Juan, un éclaireur de son temps et du nôtre en l’occurrence. Cette critique est empreinte de la malhonnêteté intellectuelle actuelle qui doit voir partout de la cruauté « l’emprise, de la prédation et de l’oppression » si possible masculine pour se complaire dans la revendication larmoyante féministe. Heureusement que Makaief n’est pas tombée dans ce piège là. Excellente mise en scène et jeu d’acteurs. Enfin Molière ne se retourne pas dans sa tombe.