À partir d’un texte de Magali Mougel conçu pour les salles de classe de collège, We just wanted you to love us traverse une histoire de harcèlement avec toute la vitalité joyeuse et cruelle de l’adolescence. Un spectacle remarquablement drôle et profond qui, dans une théâtralité simple et jouissive, raconte sans culpabiliser.
Cinq ans que ce spectacle a été créé et il nous avait échappé ! Il faut dire que We just wanted to love us, dans la philosophie des Odyssées en Yvelines du Théâtre de Sartrouville qui l’a fait naître, est un spectacle léger et modulable conçu pour les salles de classe. Depuis 2018, il a visité pas mal d’entre elles et investit, dans le cadre du Festival Off d’Avignon, le collège-lycée Mistral, situé non loin du 11 · Avignon, son théâtre d’accueil. S’y joue, chaque jour, la première heure de cours d’un professeur stagiaire remplaçant, missionné pour des vacances apprenantes que vient contrarier une mystérieuse médiatrice prétendument envoyée, elle aussi, par le ministère de l’Éducation nationale. Le spectacle construit autour d’une histoire de harcèlement est drôle, ultra vivant, méga bien construit et donne grave à réfléchir. Osons le parler jeune des années 1990 puisque le spectacle y renvoie, avec, en son coeur, la peur née des attentats du GIA à Paris en 1995, qui n’a plus quitté nos sociétés depuis.
Philippe Baronnet, metteur en scène et (excellent) interprète de la pièce, en compagnie de la non moins réjouissante Marie-Cécile Ouakil – iels jouent en alternance avec Clémentine Allain et Florent Houdu – a travaillé avec l’autrice Magali Mougel, dont on connaît les textes à la prose toujours dense et poétique, pour construire ce spectacle. De manière très surprenante, elle quitte ici ses territoires d’origine pour créer une pièce à la langue simple, pleine d’humour et dotée d’une remarquable intelligence dramaturgique. De cette leçon du jeune professeur de 2023, on bascule dans la fin du siècle passé, de deux personnages adultes à ceux d’ados collégiens, d’une histoire d’amour-amitié à un épisode de harcèlement, d’un voyage en Angleterre avorté à la quête d’amour et d’identité des adolescents. C’est un histoire où tout rebondit sans cesse, où les portes de la classe claquent et où des échos de voix nous parviennent des couloirs avec des interprètes au taquet, qui glissent subtilement d’un personnage à l’autre avec humour et dextérité, faisant revivre aux adultes les multiples plaisirs de ces années collège où la violence des relations se mêle aux rires joyeux.
À l’origine donc, tandis que Michael Jackson triomphe et que les attentats du RER B et C donnent naissance à une société qui sera de plus en plus régie par ses obsessions sécuritaires, deux ados populaires du collège s’aiment d’amour et d’amitié mélangés. Eddy se met cependant à harceler une élève introvertie à coups de vannes et d’humiliations qui font rire jusqu’aux spectateurs, au motif qu’elle aurait prétendument contribuer à faire annuler un voyage scolaire en Angleterre, mais aussi pour faire valoir son sens de l’humour et de la déconne auprès de ses pairs. La victime, comme souvent, ne réagit pas. Chacun cherche à s’aimer et à se faire aimer avec ses moyens. Et We just wanted to love us – avec la bande originale vintage qui l’accompagne efficacement – porte un regard bien senti et jamais moralisateur sur les dynamiques de domination à l’œuvre dans les établissements scolaires, tout en véhiculant le plaisir nourri de madeleines de Proust et de déconne façon teen movie très réussi. Fût-il grave et pris au sérieux, le problème du harcèlement ne vire jamais au discours univoque et culpabilisant. Une fin émouvante et pleine de finesse complète la complexité de la leçon qui donne, sans l’impression d’y toucher, une immense matière à réfléchir.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
We just wanted you to love us
Texte Magali Mougel
Mise en scène Philippe Baronnet
Avec Clémentine Allain en alternance avec Marie-Cécile Ouakil, Florent Houdu en alternance avec Philippe Baronnet
Son Julien Lafosse
Costumes Clément VachelardProduction Les Échappés vifs
Coproduction Théâtre de Sartrouville et des Yvelines CDN ; Le Préau CDN de Normandie Vire
Résidence de création Théâtre du Champ au Roy Guingamp ; L’Arsenal Théâtre de Val-de-Reuil
Soutien L’Archipel Granville Les Tréteaux de France CDN Odia NormandieDurée : 1h15
Festival Off d’Avignon 2023
11 · Avignon
du 9 au 26 juillet, à 11h15 (relâche les 13 et 20)
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