Le chorégraphe flamand Jan Martens crée une danse à partir de treize titres de chanteuses ou musiciennes peu connues dans Voice Noise. Une manière de constituer un matrimoine de musiques rares, mais surtout de mettre en évidence plusieurs manières d’écouter, à partir du ressenti de six interprètes.
Voice noise est-elle une pièce de danse qu’il faudrait seulement écouter ? Six micros sur pieds sont alignés sur l’avant-scène, sur un plateau noir posé sur la scène. Autant de silhouettes se détachent dans l’obscurité. En guise d’introduction, Elisha Mercelina, Steven Michel, Courtney May Robertson, Mamadou Wagué, Loeka Willems et Sue-Yeon Youn poussent un cri de concert.
Porté un désir d’exploration des musiques rares, le chorégraphe flamand Jan Martens devient, dans Voice Noise, archiviste des voix et musiques de femmes – faisant écho à Maud Le Pladec dans Counting Stars With You (Musiques Femmes) – en conviant sur scène treize morceaux d’artistes de styles et d’époques différentes. Est-ce un reliquaire de musiques oubliées ? Un hommage aux voix de femmes réduites au silence à travers l’Histoire ? Au-delà de la volonté explicite de rendre visible des artistes inconnues (ou presque), Jan Martens transcrit des qualités d’écoute de la musique à travers les gestes.
Quand la voix de Camille Yarbrough résonne dans la salle, on est tenté de fermer les yeux. De sentir la douceur de son timbre se déposer. De laisser le balancement soul de son titre Ain’t it A lonely feeling nous gagner. Mais, les yeux ouverts, ce sont les ondulations des six danseurs et danseuses qui se présentent. Ils et elles esquissent des gestes ciselés, en transformant leurs bras et mains en couteaux qui tranchent l’air.
Orchestrée comme une compilation, dont on écouterait un à un tous les titres, dans Voice Noise les morceaux se succèdent, en entier, de temps à autres entrecoupé par les cris gutturaux ou les paroles des interprètes. Parmi les artistes citées, il y a aussi les dissonances du Trio de Maja Ratje, le pep’s électro de Good Luck de Debbie Frida, la reprise galvanisante Bella Ciao ful Feminicido du Coro delle Mondine di Porporana. Si la relation avec la musique est omniprésente, on ne décèle pas de volonté de la mettre au centre, d’appuyer dessus, de la théoriser. Ni illustrative, ni abstraite, ni technique, la musique ne soutient pas la danse, ni l’inverse, contournant les marottes habituelles. Jan Martens et son équipe semble se détacher de ces considérations et témoignent sur le plateau de leur écoute. Répartis autour du plateau, certains tendent l’oreille, alors qu’un solo se déploie, aux gestes souples et précis arrêtés dans l’espace. Ces moments apparaissent encore plus percutant que certains tableaux de groupe où le mouvement s’étire dans le temps, au risque de perdre notre attention.
Souvent sur les scènes contemporaines, des titres pop qui font irruption – on pense à Je suis malade de Lara Fabian dans le Maldonne de Leïla Ka ou Kid d’Eddy de Pretto dans Sous les fleurs de Thomas Lebrun – qui invoquent un souvenir ancré dans un imaginaire commun. Ici, où toutes les musiques sont inconnues, cette mémoire collective ne peut pas être convoquée. Pourtant, c’est le même plaisir qui surgit dans les corps : celui de goûter à la musique. Leur émotion, contagieuse, transperce le quatrième mur.
Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr
Voice noise
Chorégraphie Jan Martens
Interprétation Elisha Mercelina, Steven Michel, Courtney May Robertson, Mamadou Wagué, Loeka Willems, Sue-Yeon Youn
Création lumière Jan Fedinger
Création costumes Sofie Durnez
Scénographie Joris van Oosterwijk
Regards extérieurs Marc Vanrunxt, Rudi Meulemans et Femke Gyselinck
Tous les mouvements sont créés par les danseurs
Photos Klaartje LambrechtsProduction – VOICE NOISE – Production GRIP. Coproduction La Comédie de Clermont-Ferrand ; Maison de la danse, Lyon – Pôle européen de production ; De Singel international arts center ; Théâtre de Liège ; Julidans ; Le Manège – scène nationale de Reims ; Romaeuropa festival ; Teatro Municipal do Porto ; Scène Nationale de Forbach ; Charleroi-Danse ; Festspielhaus St-Pölten. Résidences La Comédie de Clermont-Ferrand ; DE SINGEL ; Charleroi Danse. Diffusion internationale: A Propic – Line Rousseau en Marion Gauvent. Avec le support financier de: le gouvernement Flamand, le Tax Shelter du gouvernement fédéral belge via BNPPFFF.
Durée 1h30
Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt dans le cadre du Festival d’Automne
du 19 au 23 novembre 2024
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