Comédienne à l’amplitude de jeu remarquable, Victoria Quesnel porte la parole de Constance Debré dans une adaptation signée Hugues Jourdain.
C’est entendu : la période est largement à l’adaptation au théâtre de récits autobiographiques, d’autofictions. Celles-ci ne se comptent plus et ce sont actuellement (et uniquement) au théâtre du Rond-Point deux transpositions de récits autobiographiques qui sont à l’affiche : Le Consentement d’après l’ouvrage de Vanessa Springora, et Nom de Constance Debré. Lors de sa sortie en 2022, ce livre avait fait grand bruit. C’est que la fille du journaliste et écrivain François Debré (1942-2020) et de l’ancienne mannequin Maylis Ybarnégaray (1942-1988) ; petite-fille de Michel Debré – premier Premier ministre de la Vème République à l’origine de notre Constitution – ; et nièce des anciens ministres Jean-Louis et Bernard Debré y éreintait littéralement sa famille, ses origines, son éducation, sa vie d’avant. Avocate ayant lâché la robe, quitté son mari, perdu un temps la garde de son fils, étant devenue lesbienne, Constance Debré fait plus dans Nom que de régler ses comptes avec ses glorieuses origines et sa lignée grande-bourgeoise et aristocrate. Dans un geste littéraire ferme et aux accents empreints parfois d’arrogance, elle revendique une liberté absolue et un abandon de tout.
Se saisissant de cet écrit, le coupant et le remontant à loisir, le jeune comédien et metteur en scène Hugues Jourdain – qui a notamment monté Dans ma chambre (roman de Guillaume Dustan) – travaille ici avec Victoria Quesnel. La comédienne à la belle intensité et amplitude de jeu est particulièrement connue pour son travail au long cours avec Julien Gosselin, avec qui elle a étudié à l’école du théâtre du Nord, à Lille. Ainsi, depuis 2010, l’actrice a joué dans toutes les créations du collectif Si vous pouviez lécher mon cœur (Gênes 01, Les Particules élémentaires, 2666 ou, encore, plus récemment, Le Passé) – et elle était, par ailleurs, à l’affiche de Finlandia monté par Pascal Rambert aux Bouffes du nord début mars. Là, c’est leur intérêt commun pour l’écriture de Constance Debré, et plus particulièrement pour Nom qui réunit Jourdain et Quesnel dans une forme a priori économe et toute centrée sur la parole de Debré.
Celle que l’on a le plus souvent découvert au sein d’une troupe, sa présence amplifiée par le recours à la vidéo (ce médium étant un appendice de Gosselin), est ici seule en scène. Sur un plateau nu, occupé d’une seule chaise – que le personnage va déplacer au gré de ses prises de parole – et d’un micro, Victoria Quesnel porte avec une énergie féroce la parole de Constance Debré, traversant tous les registres de jeu. Soit une parole lapidaire, sèche, abrasive. Nourrie d’un anticonformisme impitoyable, d’un rejet de toutes les conventions, cette parole détaille la relation de la fille à son père, la fin de vie de ce dernier, sa mort, le tout émaillé de récits épars de rencontres amoureuses et de ses relations avec sa sœur. En évacuant la présence de la mère et l’histoire de son enfance, en se recentrant encore plus avant sur les derniers instants du père, le travail d’adaptation accentue l’expérience de solitude et d’éloignement volontaires de nombre de contingences de la narratrice. Il joue également de son caractère hautain et fier, de sa façon de se singulariser elle-même, comme de la manière dont son mépris pour tout ce qui l’entoure semble un brin s’atténuer face à l’agonie du vieil homme. Reste une femme qui, animée d’une colère froide et distante, signale par sa présence comme par de menus gestes (achats de nourriture) son affection – qu’elle est incapable d’énoncer par ailleurs.
Au soir de la première, force est de reconnaître que le spectacle laisse encore voir nombre de ses coutures. Il y a, celles, dont on sait qu’elles vont disparaître rapidement après quelques représentations, telles les ruptures et enchaînements un peu trop lisibles entre les séquences, tel le jeu de Victoria Quesnel qui va encore s’affiner. Et il y a celles relevant de la facture même du spectacle, qui laissent circonspectes. Car Hugues Jourdain fait le choix de construire pour chaque fragments une atmosphère, une intensité. Et que celle-ci est bien souvent trop appuyée, surlignée, qu’il s’agisse du jeu comme des (certes rares) artifices scéniques – musique et lumières – l’accompagnant. Si ce choix peut se lire comme le souhait de donner libre cours à la palette de jeu de Victoria Quesnel ; comme le désir d’un metteur en scène de donner à voir l’étendue de ses compétences ; la trop grande présence de ces effets entrave le déploiement de la violence dans toute sa profondeur. Le spectacle reste paradoxalement en surface, Victoria Quesnel enchaînant les moments en retenue et ceux plus furieux, mais sans atteindre totalement à l’intériorité du personnage. Surtout, il se déplie là un possible contresens quant à l’écriture même de Constance Debré.
On le redit, sa langue avec ses formules brèves, à l’os, ses positions très tranchées et excessives suscitent une intensité percutante par leur énonciation distante et froide. Là, le recours à une musique très expressive et sensationnaliste (ainsi de la séquence finale avec ses crescendos et montées en puissance interminables), comme à une direction d’acteurs souvent trop volontariste viennent surcharger plus que soutenir l’ensemble. À vouloir trop indiquer quelles émotions ressentir, la mise en scène en vient à faire écran au propos même et à maintenir le spectacle dans un exercice de style, pour l’instant plus insistant que percutant.
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
Nom
Adapté du roman de : Constance Debré
Mise en scène : Hugues Jourdain
Avec : Victoria Quesnel
Création lumière : Coralie Pacreau
Création sonore : Hippolyte Leblanc
Création musicale : Samuel Hecker
Administratrice de production : Virginie Hammel / Le Petit Bureau Mentions de production
Production Cie Je t’embrasse bien
Coproduction Maison du Théâtre d’Amiens Métropole
Avec le soutien du Channel – Scène nationale, Malakoff – Scène nationale, Théâtre Ouvert – CNDC
Compagnie en résidence à la Maison du Théâtre d’Amiens Métropole
Texte publié aux Éditions FlammarionDurée 1h15
Théâtre du Rond-Point
du 19 mars au 6 avril 2024
Du mardi au vendredi, 20h – Samedi, 19h
Relâche : les lundis et dimanches
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