Dans la nouvelle pièce qu’a écrite et met en scène Jean-René Lemoine à la MC93, un vibrant sextuor d’acteurs joue des fragments d’existences où les vicissitudes amoureuses et les relations humaines se font acerbes et déchirantes.
« Je ne t’aime plus. » Ces mots qui ouvrent la représentation, assénés et sur-articulés par une femme au bord du gouffre, sonnent comme un couperet. Avec éclat, fracas, Marie monopolise la parole dans un long soliloque inaugural, exprimant avec autant d’autorité que parfois de dérision, son besoin d’en finir avec l’homme qu’elle croyait aimer. L’amour pour elle est un kidnapping, un emprisonnement. Elle se décrit désillusionnée, excédée. La décision est prise. Brutale, unilatérale. Les mots criés, tapent, secouent, et ne laissent à leur destinataire qu’à peine la possibilité d’argumenter. Rodolphe esseulé est par ailleurs aimé de Marthe. Il se console plutôt dans les bras de Salomé, une jeune et brillante étudiante qui, quand elle en a envie, s’adonne au sexe tarifé.
D’autres ruptures ravageuses émailleront Vents contraires, qui, dès son titre, laisse présager une atmosphère à fortes turbulences. Des êtres se quittent, d’autres se désirent. La passion brûle ou s’éteint. La mise en scène est pourtant d’une très grande austérité. Elle prend pour cadre une espace vide délimité par de hauts pans de murs couleur de deuil et une multiplicité de portes qui coulissent ou tournent sur elles-mêmes. Ce décor minimaliste où demeurent pénombre et froideur avec ténacité est un espace profondément tragique au sens classique du terme, un sas qui voit par moment apparaître le lit d’une chambre d’hôtel, la salle d’un restaurant, l’intérieur feutré d’un salon, autant de territoires de l’intime où les êtres se livrent à une guerre sans merci.
Solitude, frustration, aliénation, séparation, sont au cœur du propos. Chacun des protagonistes vit avec désenchantement (comme le chante Mylène Farmer susurrée a cappella au cours du spectacle) ses propres turpitudes au cours de situations qui convoquent discrètement le rire, se laissent parfois aller à la trivialité, et laissent surtout abonder une tonalité tragico-pathétique. Le texte contient une violence crue et une douce mélancolie tout à fait contemporaines. La langue est belle, généreuse, parfois trop car il manque sans doute une part d’implicite dans les répliques. Après s’être prêté avec succès à l’exercice du seul en scène, Jean-René Lemoine a délibérément choisi d’écrire une partition chorale pour cinq femmes et un homme chez qui la forme monologuée demeure une priorité dans l’expression. Un peu dans une veine koltésienne, les personnages s’expriment d’une manière touffue et étirée. Leur logorrhées qui n’obtiennent pas nécessairement de réponses traduisent évidemment le manque, l’absence. Anne Alvaro, Océane Caïraty, Marie-Laure Crochant, Alex Descas, Norah Krief et Nathalie Richard jouent avec finesse et intensité les destinées contrariées de personnages ivres et vidées de l’avidité et de la superficialité du monde.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Vents contraires
Texte et mise en scène Jean-René Lemoine
Avec Anne Alvaro, Océane Cairaty, Marie-Laure Crochant, Alex Descas, Norah Krief, Nathalie Richard
Scénographie Christophe Ouvrard
Lumière Dominique Bruguière
Composition musicale Romain Kronenberg
Costumes Pryscille Pulisciano
Assistante à la mise en scène Laure Bachelier-Mazon
Assistant à la lumière Pierre Gaillardot
Construction décor Ateliers de la MC93Production MC93 — Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis
Coproduction Théâtre National de Strasbourg, Centre dramatique national de Tours — Théâtre Olympia, Maison de la Culture d’Amiens — Centre européen de création et de production, Le Grand T, théâtre de Loire-Atlantique
Avec le soutien de la SPEDIDAM, société de perception et de distribution gérant les droits des artistes interprètes, de la DRAC Île-de-France – Ministère de la Culture, du Fonds SACD Musique de Scène
Avec la participation artistique du Jeune théâtre national
Remerciements au Studio de Formation théâtrale de Vitry-sur-Seine pour la commande du texte.Durée : 2h
La Tempête
Du 15 janvier 14 février 2021
du mardi au samedi 20h30, le dimanche à 16h30
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !