Familier du Théâtre Olympia – CDN de Tours, Théophile Dubus y a présenté dans le cadre du festival de jeune création contemporaine WET°6 sa nouvelle création, Variation (copies !). Écrit pour deux comédiennes dans l’esprit loufoque et désespéré de l’auteur argentin Copi, ce « vaudeville apocalyptique mâtiné de série Z » révèle un artiste au langage singulier et complexe. En copiant Copi, Théophile Dubus fait œuvre originale.
Assises chacune d’un côté d’une porte d’évacuation clairement désignée comme telle par un panneau d’indication lumineux « Exit », Magde et Ludmilla nous apparaissent comme faisant partie d’un tableau futuriste d’il y a quelques dizaines d’années. Bien droites sur leurs chaises, participant de la parfaite symétrie du décor blanc tacheté de détails rouges – ici une fleur solitaire sortant d’un long vase, là des fruits en plastiques disposés dans une corbeille ou encore une lance à incendie attendant son heure sur un coin de mur immaculé –, les deux personnages incarnés par Jeanne Bonenfant et Blanche Adilon-Lonardoni ont d’abord l’air de figures d’un Edward Hopper qui un jour, pour changer de ses mornes paysages urbains contemporains, se serait amusé à imaginer l’avenir. Le peintre américain fait d’ailleurs partie des références qu’assume Théophile Dubus, qui n’est pas seulement le Christ au torse et poignets sanglants rejoignant Magde et Ludmilla sur scène à la fin de Variation (copies !), mais aussi l’auteur et metteur en scène de cette pièce présentée dans le cadre du festival de jeune création WET°6 (pour « Week-End T° »), porté par le Théâtre Olympia – CDN de Tours.
Pour Théophile Dubus, membre de la troupe du Théâtre Olympia de 2015 à 2017 puis comédien et performeur, entre autres aux côtés du directeur du lieu Jacques Vincey et de Vanasay Khamphommala qui avant de créer sa compagnie Lapsüs Chevelü fut longtemps la dramaturge de ce dernier, le WET° est un terrain bien connu. Il y a déjà présenté deux spectacles, avant même la création de sa compagnie Feu un rat !, qu’il fonde à Tours en 2019 pour porter ses propres textes, avec l’ambition d’ « explorer principalement le domaine de la comédie ». Programmé chaque année, en complicité avec la direction du CDN de Tours – Théâtre Olympia, par les cinq jeunes comédien·ne·s, les deux technicien·ne·s et l’attachée de production de l’ensemble artistique, le WET° est du fait de son fonctionnement un territoire propice à l’univers singulier de l’artiste. Car en revendiquant l’influence de nombreux et très différents artistes appartenant à un passé plus ou moins lointain – dans un schéma au centre duquel « Feu un rat ! » apparaît tel un petit soleil rose, gravitent des satellites comme Virginia Woolf et Marcel Proust, mais aussi comme Mylène Farmer, le groupe ABBA ou encore Jésus –, Théophile Dubus se fait créature très contemporaine, tendance queer, à l’esprit collectif.
Comme son titre l’indique, c’est du côté de l’auteur argentin Copi (1939-1987) que Théophile Dubus puise cette fois l’essentiel de son inspiration. Avec Variation (copies !), il va jusqu’à faire de son rapport à des œuvres d’hier un principe d’écriture originale. Composée, comme le titre le dit également – cette parfaite transparence de la source participe largement à la particularité du geste de Théophile Dubus, qui en se fixant des bases solides peut ensuite développer un langage personnel, aux apparences de grande liberté –, à la manière d’une variation au sens musical du terme, cette pièce brasse les grands motifs présents dans l’ensemble de l’œuvre théâtrale de Copi : la mort, la transformation, le sexe ou encore la mémoire, tous grandement problématiques mais aussi propices au rire, à un déchaînement aux accents carnavalesque. Une fois sorties de leur immobilité initiale, Magde et Ludmilla se livrent en effet à une succession de coups de théâtre, de « plans » dignes des Quatre jumelles, qui les fait passer par bien des états. Tantôt femmes, tantôt hommes, les deux protagonistes sont aussi plus performantes et imaginatives que les personnages de Dallas dans l’art de faire évoluer leur relation. Avec en plus des meurtres et toutes sortes d’horreurs.
Jeanne Bonenfant et Blanche Adilon-Lonardoni excellent dans le type de jeu artificiel à 100 %, non avare de cris, de grands gestes et de faux sang dans lequel les amène Théophile Dubus. La première a déjà pu expérimenter les partitions aussi précises que déjantées de l’auteur et metteur en scène : interprète dans sa première création, Truelle (une histoire d’enfant triste), elle était déjà familière de thèmes et d’actions récurrents dans Variation (copies !). Comme Magde et Ludmilla, elle buvait déjà beaucoup de thé, et elle tuait des gens sans que l’on sache pourquoi, et sûrement sans qu’elle-même ait une idée sur le sujet. C’est d’ailleurs à la demande des deux comédiennes de cette première pièce que Théophile Dubus écrit Variation (copies !), ce que l’on peut voir comme le signe d’une écriture forte où l’acteur trouve de quoi chercher et créer. C’est aussi le cas pour tous les autres métiers que met en jeu l’artiste. À la collaboration artistique et à la scénographie par exemple, on retrouve par exemple Quentin Bardou, qui co-signait avec Théophile Dubus le texte et la mise en scène de Truelle, et qui a mis en scène sa pièce suivante, Des panthères et des oiseaux (comédie romantique). Feu un rat !, c’est déjà toute une histoire.
Variation (copie !) aurait-elle pu être une pièce de Copi ? Plus Magde et Ludmilla s’éloignent du couple d’amies qu’elles forment au début, où la première confie à la seconde être enceinte d’un homme qu’elle aime alors qu’elle vit avec une femme qu’elle n’aime pas, moins on se pose la question. Plus l’espace blanc et ordonné devient rouge du sang des deux protagonistes et de leurs victimes, moins on se questionne. S’il est anti-naturaliste, anti-psychologique et absurde comme celui de Copi, si comme chez celui-ci on y meurt et on y revit à l’envi, c’est peut-être bien par l’opération du Saint-Esprit, qu’évoquent parfois les deux héroïnes. Ou alors, comme le dit l’auteur lui-même, par l’effet de la rencontre hautement improbable entre l’univers de Jacques Demy, celui de Stanley Kubrick et du soap-opera. Toutes ces hypothèses donnent à la pièce une profondeur qui ne diminue en rien sa folie. Feu un rat !, vive Ludmilla. Vive Magde, et celles et ceux que Théophile Dubus promet d’inventer bientôt.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Variation (copies !)
Un projet de, par et pour Miglé Bereikaité, Jeanne Bonenfant et Théophile Dubus
Texte et mise en scène Théophile Dubus
Interprétation Blanche Adilon-Lonardoni et Jeanne Bonenfant
Collaboration dramaturgique Miglé Bereikaité
Collaboration artistique et scénographie Quentin Bardou conseillé par Analyvia Lagarde
Création lumières Clémentine Pradier
assistée par Juliette RomensCréation sonore et musicale Antoine Layère
Création costumes Marion Montel
Production Kelly AngevineProduction Compagnie FEU UN RAT !
Coproduction Théâtre de Vanves – Scène conventionnée d’intérêt national Art et création pour la danse et les écritures contemporaines à travers les arts
Soutiens le projet bénéficie du soutien du Volapük dans le cadre du dispositif de résidence d’accompagnement Ville de Tours / LABEL RAYONS FRAIS création + diffusion, du Conseil départemental d’Indre-et-Loire
Le texte est lauréat des Encouragements de l’Aide à la Création d’ARTCENA (mai 2019)
Remerciements La Charpente, lieu de création – Amboise, CDN de Tours – Théâtre Olympia, Théâtre à Cru, Le Gruppe et l’ensemble de l’équipe du Volapük, Aline Boutet, Esmé Planchon
Théophile Dubus est accompagné par le dispositif A.V.E.C., porté par le Théâtre de Vanves et le bureau de production AlterMachine, pour la saison 21/22
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