Dans leur première pièce prometteuse, Valentine Basse et Gregor Daronian mettent en scène un duo de musiciens reclus dans leur logement, en proie à leurs angoisses générationnelles.
C’est un drôle de petit spectacle, à la lisière du théâtre, du concert et de la performance ; un objet non identifié qui déroute autant qu’il séduit. Lorsque l’on prend place dans le minuscule sous-sol des Déchargeurs, à Paris, un homme en slip rouge gît sur les planches, une casquette vissée sur la tête. À côté de lui, une femme est accroupie devant un micro, inerte, le visage dissimulé par sa chevelure. Ces deux-là ressemblent à de vieux enfants qui auraient refusé de grandir. Le décor, derrière eux, est composé d’un ancien iMac vert, trônant sur des caisses en bois, d’un poster de la chanteuse Alizée, accroché au mur, et de plusieurs postes de radio, posés à même le sol. On pourrait être au début des années 90. Mais en réalité, on est hors du temps. Ou plutôt, hors du monde. Valentine et Gregor, on le comprendra rapidement, vivent reclus dans leur antre régressif, surfant sur Internet, jouant à Game Boy, dévorant des kilos de bonbons et dissertant sur tout et n’importe quoi.
L’ambiance est étrange. À dire vrai : on se demande un peu ce que l’on fait là. Mais tout se précipite lorsque Gregor se met en tête de former un groupe avec sa colocataire. Le jeune homme commande en ligne six vieux synthétiseurs, des orgues Farsifa (d’où le nom de la pièce), un instrument aux sonorités rudimentaires, et le duo s’attelle à des reprises de tubes nineties, assez ringards, traduits en français et interprétés sur un tempo très lent (Barbie Girl, Blue (Da Ba Dee), All the Things She Said…). Ce curieux récital est entrecoupé de vannes décalées, de chorégraphies hasardeuses et de commentaires loufoques sur la violence du monde. L’expérience est un peu gênante au départ – le niveau technique laisse à désirer -, et puis, à mesure que l’on entre en phase avec ces jeunes gens, que l’on décode leur langage lunaire et leurs tropismes surannés, il faut bien admettre qu’il se passe quelque chose. Leur prestation est désarmante de sincérité ; leur humour, entre le 45e et le 46e degré, fait sourire et leur autodérision permanente les rend diablement sympathiques.
Créé aux Beaux-Arts de Paris juste avant le premier confinement, Farf is a est le tout premier spectacle de Valentine Basse et Gregor Daronian. Le duo prometteur le joue actuellement sur les planches, mais serait à sa place dans une salle de concert ou une galerie d’art. Un jour, aussi, il faudra qu’un sociologue se penche sur cette étrange proposition. La génération des vingtenaires dépeinte ici, avec ses angoisses existentielles paralysantes, sa nostalgie pour un monde qu’elle n’a jamais vraiment connu, et son « besoin de consolation impossible à rassasier » (la formule est de Stieg Dagerman) étonne autant qu’elle inquiète. Une chose est sûre : son expression devrait donner lieu à de nouvelles formes artistiques.
Igor Hansen-Love – www.sceneweb.fr
Farf is a
De et avec Valentine Basse et Gregor Daronian
Assistanat à la mise en scène Lou Pantchenko
Scénographie et lumière Lino Pourquié
Son Nicolas Hadot
Corps Jean Hostache
Clip Mathilde et Clément Gossart
Direction artistique Krikor Loussavoritch
Production Trans Ideal
Avec le soutien en résidence de création de La Vie Brève et le Théâtre de l’Aquarium
Durée : 1h15
Les Déchargeurs, nouvelle scène théâtrale et musicale
Du 30 novembre au 23 décembre 2022,
du mercredi au samedi à 21h
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