Au Palais Garnier, Body and Soul scelle des retrouvailles décevantes avec Crystal Pite, sa signataire. Après le succès phénoménal de The Seasons’Canon, la chorégraphe canadienne offre au Ballet de l’Opéra de Paris une deuxième pièce conçue dans une même veine chorale et martiale, pas moins ambitieuse mais trop excessive et au deux tiers ressemblante, jusqu’à un final qui déroute par sa vacuité.
Invitée pour la première fois par l’Opéra national de Paris en septembre 2016, Crystal Pite, encore inconnue en France, offrait à la compagnie une pièce unanimement saluée par la critique et adorée du public. Trois années plus tard, elle présente Body and Soul, une création au goût de déjà vu. Très attendue, cette nouvelle oeuvre repose présomptueusement sur les mêmes motifs et les mêmes inspirations. Sous le joug de rapports conflictuels entre la collectivité et l’individualité entre autres forces contraires qui agissent dans un espace obscur et minimaliste, une foule de danseurs indifférenciés dans des vêtements noirs et blanc unisexes types costards, débardeurs ou combinaisons, compose une marée humaine qui n’en finit pas de former des guirlandes de bras et de torses ondulants et mouvants. Leur vaste gestuelle étirée à la fois robotique et organique combine à l’envi monstration et ostentation.
Crystal Pite aime travailler la masse. Il faut lui reconnaître un véritable talent d’orchestratrice tant elle façonne le mouvement avec une précision d’horloger et aboutit à une fine exactitude en matière de fluidité et de synchronicité. Son geste chorégraphique est donc ample, leste, brillant mais tout chez elle paraît si bridé, si policé, si bien ordonné, ficelé et esthétisé. Sa danse veut trop dire, trop indiquer. Elle voudrait être passionnante, divertissante, émouvante, bousculante ; elle n’est « que » parfaitement exécutée.
Deux « figures » kafkaïennes, prénommées 1 et 2, ouvrent et émaillent le spectacle tantôt individualisées tantôt démultipliées. Pite joue sur la quasi-gémellité de François Alu et Aurélien Houette qui se présentent l’un debout, l’autre couché, selon les instructions dictées par un texte que dit la comédienne Marina Hands enregistrée. Ils suivent littéralement un court canevas qui se répétera et se déclinera à la façon d’exercices de style pour raconter différentes situations et émotions comme la naissance du désir ou la perte douloureuse d’un être cher. Associées aux Préludes de Chopin gravés au disque par Martha Argerich, certaines scènes croulent sous une surenchère de dramatisme un peu facile. Il n’empêche que Marion Barbeau et Simon Le Borgne, Muriel Zusperreguy et Alessio Carbone, Léonore Baulac et Hugo Marchand, Daniel Stokes et Simon Valastro se distinguent à l’occasion de duos, même inégalement inspirés. Les ensembles bénéficient quant à eux de l’excellente forme physique de la troupe.
A l’issu de deux tableaux d’une trentaine de minutes chacun séparés par un entracte, Crystal Pite s’aventure dans un final iconoclaste pour le coup désappointant tant il cumule kitsch et vacuité. Takeru Coste se révèle en homme des bois s’agitant fesses nues et coiffe chevelue au milieu d’une colonie de créatures humano-insectoïdes en cuir. Tout se conclue sur un ballet digne des variétés sur l’entraînante chanson de Teddy Geiger qui donne son titre au spectacle, Body and Soul. C’est la fin d’un programme dérisoire mais acclamé qui exalte plus le corps que l’âme.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Body and Soul
Chorégraphie :
Crystal PiteMise en scène :
Crystal PiteLes Étoiles, les Premiers Danseurs et le Corps de Ballet
Musique enregistréeDurée : 1h35 (avec entracte)
Palais Garnier
du 30 janvier au 20 février 2022
Bluffé par la précision de votre critique, je la partage en tout point. J’aurais été plus tendre sur la première partie qui inspire tout de même autant de respect que d’inspiration et d’émotions. Et un peu plus dur sur la dernière. Ambitieuse mais inaboutie, difficile de ne pas voir le rapprochement avec le « Frôlons » de James Thierrée qui partageait l’affiche avec elle l’année dernière. Cela reste un réel plaisir mais on attendait encore plus du talent immense de Crystal Pite.