Avec Un état de nos vies, l’autrice Lola Lafon et le musicien Olivier Lambert composent un cheminement intime au cœur des mots. Intéressante pour (re)découvrir le travail de l’autrice, la proposition doit encore s’affiner un brin formellement.
Écrivaine et musicienne ayant depuis 2003 signé sept romans (le dernier en date étant Quand tu écouteras cette chanson, né du dispositif « une nuit au musée ») et deux albums, Lola Lafon monte également de loin en loin sur scène. Outre sa présence en tant que comédienne au festival d’Avignon 2021 puis à la Comédie de Reims dans Le Mur invisible (de Marlen Haushofer mis en scène par Chloé Dabert), ce sont en général ses propres textes que l’autrice porte. Il y a eu, par exemple, La petite communiste qui ne souriait jamais (2015) et Mercy, Mary, Patty (2018), des formes qu’elle a proposées à chaque fois accompagnée des deux musiciens Olivier Lambert (guitare, machines) et Julien Rieu de Pey (basse, guitare). Pour Un état de nos vies, c’est, quelque part, un autre état de son travail que Lola Lafon initie, révèle, impulse. Car le texte, constitué de fragments, agrège autant des extraits d’articles déjà publiés, des évocations renvoyant à certains de ses romans, comme des éléments inédits issus de son journal et de son cahier de travail. Accompagnée cette fois seulement d’Olivier Lambert, l’autrice déplie ce faisant une pérégrination au cœur des mots et de leurs sens.
Le dispositif revendiqué étant celui d’un entretien c’est à une grande table occupant la scène que les deux interprètes sont installés, chacun à un bout et devant un micro. La forme se veut ludique : Olivier Lambert le plus souvent, Lola Lafon parfois, piochent un mot parmi ceux listés sur des fiches dont ils disposent. Lui, de temps à autre, ajoute une définition possible ou liste certains synonymes du mot choisi et ponctue ou accompagne ses interventions à elle de ses compositions musicales. Elle, dans la diversité de ses réactions – entrain, réflexion, agacement ou refus –, dans la multiplicité d’éléments convoqués (souvenirs, références littéraires, etc.) ou dans l’amplitude de ses actions (se déplaçant volontiers, feuilletant son cahier pour y trouver un texte, etc.) offre à chaque fois d’autres sens possibles à chaque mot.
Il se déplie là un abécédaire ludique, intime et parfois percutant d’une autrice stimulante par les écrits et les positions – citons ce fragment sur « la gauche » : « Pourquoi ne la rejoint-on plus ? Peut-être parce qu’elle n’a d’autres ambitions que d’être une alternative. Et si on s’en réfère à l’étymologie, un chemin alternatif n’est qu’une proposition d’aller autrement au même endroit. » Il se dit, aussi, l’absolue nécessité de ne pas se laisser enfermer dans les mots, soit de requestionner leurs usages, leurs fonctions, leurs significations au-delà de la doxa.
Pourtant, en dépit de la pertinence de ses multiples définitions, ce spectacle littéraire laissait le soir de sa première un sentiment de non aboutissement formel. Comme si le dispositif majoritaire de l’interview bloquait les deux interprètes, les empêchait de donner de la complicité à leur dialogue comme de nous l’adresser plus directement. Ce choix du face à face à distance, en atténuant la puissance du propos, neutralise partiellement ce qui fonde le travail de Lola Lafon (soit une capacité à agréger les références et récits pour livrer un regard sensible et politique sur le monde) et maintient l’ensemble dans une atmosphère seulement par trop aimable. Gageons néanmoins qu’au fil des représentations le duo saura trouver la relation la plus juste, l’équilibre entre écriture et spontanéité, en regard de cette forme. Et que cette démarche fertile invitant sans surplomb mais avec intelligence et générosité à cheminer dans la langue – le temps du spectacle comme au-delà – prendra alors toute son ampleur théâtralement.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Un état de nos vies
Un spectacle de et avec : Lola Lafon
Composition et interprète : Olivier Lambert
Collaboration artistique et lumières : Emmanuel NobletProduction Théâtre du Rond-Point
Coproduction Comédie – CDN de Reims
Résidence de création aux Scènes du Golfe / Théâtres Vannes ArradonDurée 1h
du 25 au 29 septembre 2024
Théâtre du Rond-Point
du mercredi au vendredi, 20h – samedi, 19h – dimanche, 16h
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