Dans Trust / Shakespeare / Alléluia, Dieudonné Niangouna délire autour des grandes figures shakespeariennes. Un nouveau spectacle ambitieux mais outrancier créé à la MC93 de Bobigny.
On le sait bien, la langue du dramaturge congolais claque comme une gifle, coule comme les flots et brûle comme la lave. Aride, généreuse, débordante, proliférante, elle dit le tumulte, le chaos, la guerre, plonge dans la souillure et la monstruosité de l’homme et du monde, interroge avec fracas les rapports de force entre les individus, la question du pouvoir et de son exercice arbitraire, l’affaiblissement des faibles, elle rend compte de l’Afrique enlisée dans la misère (très beau Shéda en 2013), de la crise migratoire en Europe (puissant Nkenguegi en 2016). Toutes ces préoccupations majeures dans son oeuvre se retrouvent éparpillées et diluées dans la nouvelle création que présentent la MC93 de Bobigny puis le Théâtre des Quartiers d’Ivry avant une longue tournée. Elles ne sont pas aussi audibles et percutantes qu’auparavant. Dieudonné Niangouna s’empare ici d’une matière théâtrale chargée d’histoire et de références : le théâtre shakespearien. Il le porte à ébullition, lui fait atteindre un état de quasi-transe mais c’est surtout le trop-plein qui l’emporte sur le plateau.
La proposition est large. Elle consiste à convoquer tous les personnages phares du théâtre shakespearien et à les placer dans des contextes inédits censés éclairer le monde d’aujourd’hui. Ainsi, le roi Lear qu’endosse Niangouna lui-même, en simple caleçon et manteau sale, le visage recouvert d’un maquillage bleu, apparaît comme un clochard faisant la manche dans le métro sous les regards indifférents d’une foule robotisée. Avant lui, c’est Puck qui ouvre le bal sous les traits d’une bacchante noire, en haillons, jambes nues et longues tresses brunes. Elle bondit dans la nuit noire et réveille, de sa parole volubile, les êtres dormant comme des gisants. Suivront Hamlet, défoncé et dégingandé, qui s’est échappé de l’asile, Richard III, Juliette, Ophélie… Macbeth est sur la cuvette des toilettes, Prospero bouffe des chips avachi devant la télévision et Othello siffle des litres de bières en canettes. Claudius chante du Claude François en se fouettant les fesses avec une feuille d’arbre exotique. Niangouna prend un malin plaisir à jouer le jeu de la distanciation et de la désacralisation. Ses réécritures prolixes mais inégales finissent par paraître bien anecdotiques.
Peter Brook, grand Shakespearien, disait « le poète a un pied dans la boue et un œil sur les étoiles ». Le problème est que dans ce très long spectacle (presque quatre heures avec un entracte où le public se décime), nous sommes bien plus souvent du côté du sol que du ciel tant Niangouna use d’un registre inimaginablement bas. Jan Kott a génialement rendu compte de la correspondance entre l’oeuvre immense de Shakespeare et notre actualité. A coup de transpositions, d’adaptations, d’actualisations, nombreux sont les metteurs en scène à l’avoir également prouvé. Niangouna s’inscrit dans une riche lignée où les références ne manquent pas et où la comparaison ne lui donne pas l’avantage.
Ce spectacle fourre-tout et souvent pas du plus bon goût, se présente aussi bien comme une émission de télé poubelle, un film de science-fiction ou un opéra rock. Sidérante d’énergie, une importante troupe de seize interprètes (pourtant sonorisés) hurle et se débat pour tenter de se faire entendre. Les mots ne parviennent pas, ne résonnent pas. Il ne reste que le tapage, les effets, le chant, la danse, le cri, la surenchère, la dérision, l’épuisement. On est alors bien loin du rêve annoncé.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Trust/ Shakespeare/ Alléluia
Texte, mise en scène et scénographie Dieudonné NiangounaCollaboration artistique Laetitia Ajanohun
Avec Laurent Barbot, Fitzgerald Berthon, Julie Bouriche, Vincent Brousseau, Léna Dangréaux, Honorine Diama, Yasmine Hadj Ali, Annabelle Hanesse, Liesbeth Mabiala, Dieudonné Niangouna, Agathe Paysant, Emmelyne Octavie, Carine Piazzi, Bertrand de Roffignac, Flore Tricon et Sébastien Bouhama
Régie son Félix Perdreau
Musique Sébastien Bouhana
Lumières Xavier Lazarini
Costumes Marta Rossi
Vidéo Sean Hart
Régie générale Nicolas BarrotProduction Compagnie Les Bruits de la Rue
Coproduction MC93 — Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Théâtre des Quartiers d’Ivry — CDN du Val-de-Marne, Théâtre des 13 Vents — CDN de Montpellier, Comédie de Caen — CDN de Normandie, Künstlerhaus Mousonturm — Francfort
Avec le soutien du dispositif d’aide à la création de la Région Île-de-France et du dispositif d’insertion de l’Ecole du Théâtre National de Bretagne
La Compagnie Les Bruits de la Rue est soutenue par le Ministère de la Culture et de la Communication — DRAC Île-de-France.
Durée 3h30Théâtre — Création
MC93
21 > 28 septembre 2019
Salle Oleg EfremovIvry-sur-Seine
Théâtre des Quartiers d’Ivry
Du mer. 02/10/19 au jeu. 10/10/19Frankfurt am Main
Du ven. 25/10/19 au sam. 26/10/19
Entièrement d’accord. D’ailleurs, pour échapper à l’épuisement et à la noyade dans la logorrhée de Niangouna je suis partie au bout d’1h30.
Pas du tout d’accord. Je me suis totalement fait embarqué par la pièce, et je ne me suis jamais noyé, même si j’ai failli par moment. C’est, entre autres, cet équilibre difficile à tenir que j’ai trouvé intéressant en tant que spectateur. Et quelle performance des comédiens! Quelle énergie! Quel travail!