Un spectacle hors les codes, où la quête d’absolu tourne à la série B. Toranda Moore mis en scène par Pierre Giafferi est une pièce complètement baroque et barrée, détonante, où un réalisateur mi-nerd mi-mégalo cherche son amour disparu à travers un tournage improbable. Entre mélo, fantastique et réflexion sur la création, impossible de ne pas se laisser embarquer. Moteur.
Avec Toranda Moore (prononcer torrendamour), tout, peut-être, était déjà dans le titre. Déjà, l’histoire d’amour. Celle d’un réalisateur avec une jeune femme, Hélène, morte un jour dans une salle de cinéma qui a pris feu. Qu’il tente de faire revivre sous les traits d’un fantôme, Toranda Moore, que les trois protagonistes de son film cherchent à faire apparaître sur la bobine. Toranda Moore, c’est la blessure, le manque. Cette fracture intérieure qui serait à la source de la création artistique. Cette nécessité sans laquelle les créateurs ne feraient que des œuvres de second rang. Cette meurtrissure, cette béance que l’art chercherait à combler.
Dans Toranda Moore, il y a aussi l’audace du jeu de mots. Bas de gamme et glamour. Ce nom que le réalisateur répète à l’envi comme un gimmick de Gainsbourg. Cet absolu kitsch et incontournable après quoi, sans doute, nos vies courent. Ce manque, cette frustration, ce besoin d’amour, cette nostalgie de la fusion – les psychanalystes pourraient s’en donner à cœur joie – qui activent notre libido et notre pulsion de vie.
Dans le nom Toranda Moore, il y a aussi le cinéma. Américain. Français également avec de nombreuses références aux Choses de la vie de Claude Sautet. Daredog, le réalisateur a des airs à la Orson Welles. Barbe drue et silhouette massive. Des allures de vieil ado. Casquette à l’envers , lunettes de soleil, bermuda et baskets. Mi-star, mi underground, il arrête sa carrière après Toranda Moore, film sur l’histoire duquel toute la pièce revient. Comme un making off.
Dans Toranda Moore, il y a aussi cela. Du sérieux et en même temps de la dérision. Du goût pour le cinéma et une envie de se moquer de ce monde. Cette histoire mille fois entendue d’« ouvrir son coeur », de jouer avec ses tripes, pour laisser parler sa quête de Toranda Moore, et cet acteur hilarant, incontrôlable, qui hurle, qui boit, Baptiste Drouillac, exact opposé du carriériste non moins drôle issu du cours Florent, Johann Cuny. Il y a aussi et surtout le réalisateur, Léon Cunha da Costa, double, on imagine, du metteur en scène Pierre Giafferi. Dans le dossier de presse, nulle distance de l’auteur metteur en scène à son sujet. A fond dans la démonstration que toute œuvre passe par cette nécessité intérieure du Toranda Moore. Égocentrique, autoritaire, mégalo, Daredog avec son nom de chien qui ose tout croisé avec de célèbres frères belge du cinéma n’est pas forcément du genre qu’on aimerait rencontrer sur un plateau. Figure à l’ancienne, romantique qui sait ce qu’il veut, dont on excuserait peut-être les excès parce qu’il est rongé par ses démons. Ou parce c’est l’art qui veut ça.
Dans Toranda Moore, il y a donc une pièce qui déjoue beaucoup de nos habitudes de spectateur. Un spectacle de 2h00 sur un film tourné au bord de la mer en Bretagne, qui passent beaucoup plus vite qu’un Lelouch. Des acteurs excellents, à la fois figures comiques et plus vraies que nature, qui démarrent chaque scène sans qu’on devine où elle nous emmène. La figure de ravagée Juliette Savary et la beauté fantomatique d’Hélène Rencurel complètent avec autant de talent la distribution masculine déjà évoquée. Tous conduisent sur un fil un enchaînement de scènes qui nous emportent, avec une réelle maîtrise de l’espace scénique, là où sans doute il faut essayer de vivre. Proche du sacré qui rend la vie précieuse et avec la dérision que méritent toutes nos vanités.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Toranda Moore
Texte, mise en scène et scénographie Pierre Giafferi
Régie et création sonore Baudouin RencurelAvec Léon Cunha Da Costa, Johann Cuny, Baptiste Drouillac, Hélène Rencurel et Juliette Savary
Production Compagnie Bataille
Coproduction et coréalisation Les Plateaux Sauvages
Avec le soutien de la DRAC Île-de-France – Ministère de la Culture et du Jeune Théâtre National
Avec le soutien et l’accompagnement technique des Plateaux Sauvages
La compagnie Bataille est accompagnée par Formica production.Durée : 2h
Les Plateaux Sauvages
du 7 au 19 février 2022
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