Artiste associé au Théâtre des Célestins à Lyon, Thierry Jolivet s’empare de Vie de Joseph Roulin de Pierre Michon. Entre conte, invocation et concert, il porte avec force et justesse le bouleversant lyrisme de ce portrait de Vincent Van Gogh à travers celui d’un employé des Postes qui fut son ami.
« Un dialogue avec les morts, peut-être un appel ». Employée par l’écrivain Pierre Michon lui-même dans un entretien réalisé en 1997, cette expression offre une idée assez juste de son œuvre débutée avec ses sublimes Vies minuscules (1984), où il fantasme à partir de quelques archives, presque rien, sa propre généalogie. Elle permet aussi de mesurer le défi que représente son écriture pour la scène. Défi qu’a décidé de relever le comédien et metteur en scène Thierry Jolivet, fondateur de la compagnie La Meute, après une adaptation de Belgrade d’Angélica Liddel puis de La Famille Royale de William T. Vollman. Deux spectacles aux formes vastes, beaucoup plus que ce que nécessite l’œuvre de Pierre Michon. Sa Vie de Joseph Roulin (1988) en l’occurrence, qui inaugure une série de vies de peintres, suivies de vies d’écrivains tels que Rimbaud, tels que Beckett, Flaubert, Faulkner, Hugo (dans Corps du roi, 2002) qu’il admire. Pour partager, selon ses termes, « la beauté bouleversante de ce petit chef d’œuvre », Thierry Jolivet sait se faire minimaliste. Subtilement, il nous emporte dans les labyrinthes de Pierre Michon, sur les traces de Van Gogh.
Entouré des musiciens Jean-Baptiste Cognet et Yann Sandeau, dont la silhouette et celle de leurs instruments se détachent d’un dispositif vidéo kaléidoscopique, Thierry Jolivet se tient face au public. Il ne bougera pas de cette place, où se dresse un micro qui fait de sa voix douce, profonde, la matière principale du spectacle. Les cheveux longs, la barbe, la main droite du comédien qui s’agite au rythme changeant de sa narration sont à la fois pleinement présents, et tournés vers un au-delà du plateau, vers un inconnu. De même qu’à travers l’écriture, Pierre Michon tente d’attraper des disparus en suivant leurs empreintes. En partant de leur œuvre pour imaginer le reste : le quotidien, la chair, la pensée… Portant la voix du narrateur de Vie de Joseph Roulin, Thierry Jolivet fait nôtres les doutes et les magnifiques hypothèses, les envolées lyrico-prosaïques de Pierre Michon.
Tandis que les visages marqués, très terriens de l’œuvre de Van Gogh alternent sur le plateau avec ses paysages dorés, les mots que prononce Thierry Jolivet donnent corps et âme au personnage éponyme du livre de Michon. Soit un employé des Postes de la fin du XIXème siècle, alcoolique, qui lorsqu’il vécut à Arles fut l’ami de Van Gogh. Constatant son incapacité à approcher ce que fut vraiment le grand peintre, l’écrivain a choisi d’interroger la relation qui l’a uni à cet homme. À ce voisin « qui n’entendait rien aux beaux-arts et ne trouvait pas la peinture de Van Gogh bien jolie », mais qui en même temps y entendait tout car « il avait aperçu que les arts de cette fin de siècle, l’art comme on dit, ajoute à l’opacité du monde et agite jusqu’à la mort ses trop crédules serviteurs, dans une danse violente, peut-être enjouée, féroce, dont le sens fait défaut ».
Dans le sillage de Pierre Michon, fidèle à ses phrases denses qui n’en finissent pas de tourner autour de leurs illustres sujets, ce n’est rien moins que le mystère de l’Art que sonde Thierry Jolivet. En toute humilité, entre conte et concert, proche de l’invocation, il retisse avec précision les fils qu’avait imaginés l’auteur entre Van Gogh et Joseph Roulin. Il en arrange pour la scène la longueur, l’enchaînement, pour mieux en restituer les « sons de feuilles, de gong, d’avalanches » que cherchait à créer l’écrivain. Et en transmet toute l’intelligence, toute la beauté.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Vie de Joseph Roulin
De Pierre Michon
Mise en scène : Thierry Jolivet
Avec : Thierry Jolivet
Création musicale et interprétation : Jean-Baptiste Cognet et Yann Sandeau
Création lumière : David Debrinay et Nicolas Galland
Régie son : Mathieu Plantevin
Création et régie vidéo : Florian Bardet
Régie générale et lumière : Nicolas Galland
Construction décor : Clément Breton et Nicolas Galland
Stagiaire construction et plateau : Maureen Bain
Production : La Meute-Théâtre
Coproduction : Célestins – Théâtre de Lyon, Théâtre Jean-Vilar – Bourgoin-Jallieu
Avec le soutien de la Ville de Lyon, le Conseil Régional Auvergne-Rhône-Alpes, la Spedidam
Avec le concours du Théâtre du Peuple de Bussang, du Théâtre Allégro de Miribel et du Théâtre Nouvelle Génération-CDN de LyonDurée : 1h45
Théâtre de la Cité Inernationale
du 24 janvier au 1er février 2022
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