La chorégraphe Yinka Esi Graves irradie la Cour du lycée Saint-Joseph avec son flamenco vibrant, dans un numéro d’apparition et de disparition qui évoque l’effacement des corps noirs.
The Disappearing Act. est, en partie, l’histoire de Miss Lala au Cirque Fernando. Cette acrobate métisse de la fin du XIXe siècle, représentée sur le célèbre tableau de Degas en contre-plongée, dans le vide, suspendue par la force de mâchoire. Sa tête lancée en arrière ne permet pas de distinguer son visage, et elle devient presque une anonyme.
Dans la lignée de la voltigeuse, Yinka Esi Graves dévoile à son tour son propre « numéro de disparition ». Née à Londres, d’un père d’origine jamaïcaine et d’une mère d’origine ghanéenne, la chorégraphe a vécu au Nicaragua, en Guadeloupe, aux Etats-Unis, avant de poser ses valises à Séville. La raison ? Un amour pour le flamenco, dont elle explore depuis plusieurs années les influences africaines, qui auraient été importées par les esclavagisés en Andalousie. Dans un solo de danse, soutenu par un batteur, un guitariste et une chanteuse, Yinka Esi Graves déploie un flamenco percutant pour s’adonner à un jeu subtil d’apparition et de disparition.
Le visage caché derrière une sculpture en filaments dorés suspendue au plafond, la danseuse avance, le corps vibrant. Sur scène, les indispensables du flamenco sont présents : el baile, el cante y la guitarra, c’est-à-dire la danse, le chant (de Rosa de Algeciras) et la guitare (de Raúl Cantizano), à laquelle s’ajoute la batterie tonitruante de Remi Graves. S’il rend hommage à la tradition andalouse, cet ensemble complice apparaît surtout comme un écrin pour accueillir la chorégraphie. Car la danseuse emplit toute la scène par sa présence : ses poses sculpturales et les variantes de zapateados (quand les pieds tapent en rythme) et discrets braceos (des mouvements de bras typique de la danse) font luire sa combinaison rose lamée sous les projecteurs.
Peut-être que ces moments palpitants, comme les traversées au milieu de la scène en ligne, en tout petits pas bien scandés, et les sauts à pieds joints, où son corps est tendu, où l’amplitude des mouvements est ramassée, contenue, sont encore plus frappants car ils ne se donnent jamais complètement, dans un refus d’une efficacité virtuose. Encore et encore, Yinka Esi Graves disparaît : le visage caché derrière un avant-bras, dans la pénombre qui occupe le fond de la scène, sous une longue perruque lisse qui cache ses cheveux crépus, derrière le fond de teint beige qui éclaircit la peau. Un jeu de cache-cache qui rappelle la facilité des personnes noires à jouer et rejouer ce « numéro de la disparition », puisqu’elles sont déjà invisibilisées dans les espaces publics, médiatiques, artistiques, de l’histoire et des imaginaires.
Son flamenco lui-même devient une performativité de la disparition des corps noirs au profit des blancs, rappelant par ses gestes que la danse emblématique de l’Andalousie est un immanquable du folklore espagnol, dont l’héritage des danses africaines aurait été totalement effacé. Empruntant parfois des chemins sinueux et pas toujours lisibles – comme un dessin tracé au sol à la craie dont la symbolique reste énigmatique –, Yinka Esi Graves prend à bras-le-corps cette violence avec une puissance mêlée de douceur, portée par les mélodies entraînantes des musiciens, et réinvoque dans le même temps la danse africaine au coeur de son flamenco.
Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr
The Disappearing Act.
Conception, mise en scène et chorégraphie Yinka Esi Graves
Avec Yinka Esi Graves et Raúl Cantizano (guitare), Remi Graves (batterie), Rosa de Algeciras (chant)
Musique Raúl Cantizano
Lumière Carmen Mori
Son Javier Mora
Vidéo Miguel Ángel Rosales
Costumes Stéphanie Coudert
Régie son Enrique Gonzalez
Régie lumière Carmen MoriProduction Trans-Forma Producción Cultural
Coproduction Africa Moment (Barcelone), Grec Festival de Barcelona Instituto de Cultura Ayuntamiento de Barcelona, Centro Servizi Culturali Santa Chiara (Trente)
Avec le soutien de Arts Council England – Horizon Showcase, Festival Flamenco (Nîmes), Bienal de Flamenco de Sevilla et pour la 78e édition du Festival d’Avignon : British Council’s United Kingdom/France Spotlight on Culture 2024
Résidences Factoría Cultural Instituto de Cultura y las Artes de Sevilla, Dance4 (Notthingham), Centro de Creación y Artes Vivas El Graner (Barcelone), Festival Flamenco (Nîmes), Bienal de Flamenco (Séville), Teatro de la Maestranza (Séville), Sala La Fundición (Séville)Durée : 1h
Festival d’Avignon 2024
Cour du lycée Saint-Joseph
du 18 au 21 juillet, à 22h
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