C’est sa dernière tournée. A 50 ans, la danseuse Sylvie Guillem tire sa révérence pour un dernier spectacle chorégraphié par Akram Khan, Russell Maliphant et Mats Ek. Après 39 ans d’une carrière prodigieuse et atypique, elle dit « au revoir » à son public à travers le monde. En France on peut la voir à Lyon cet été, puis à Paris au Théâtre des Champs-Élysées en septembre. Rencontre avec Sylvie Guillem pour évoquer son métier et son nouvel engagement en faveur de l’environnement
- C’est irrévocable. C’est votre dernier spectacle ?
Oui c’est ma dernière tournée. J’ai senti que c’était le moment de prendre la décision.
- A quel moment ?
Au milieu de l’année dernière. Je savais qu’il fallait que je le fasse un jour. William Forsythe et Mats Ek arrêtent aussi. C’est donc le moment et je me suis dis que 50 ans était le bon chiffre.
- Pourtant d’autres grandes danseuses ont continué à danser très longtemps comme Pina Bausch
J’aime danser avec de l’énergie et de la motivation. Effectivement j’aurai pu faire des choses moins difficiles mais j’aime la scène et j’aime me donner à fond. Je n’avais pas envie de danser jusqu’à 70 ou 80 ans et d’entendre : « Ah vous dansez encore ! Ah je vous avais vu, c’était bien avant ! » Je n’ai pas envie d’entendre cela. Je sais que cela va être difficile. C’est une décision très douloureuse à prendre mais au moins la blessure sera nette.
- Avez-vous pensé à la dernière ?
Ou malheureusement j’y pense. Mais dans chaque endroit de la tournée c’est déjà une dernière. Je sais qu’ici au Nuits de Fourvière je ne reviendrai plus. Alors que les années précédentes ce n’était pas prévu que je revienne mais il y avait toujours une éventualité de recontacter Dominique Delorme pour refaire un spectacle. Mais là c’est fini. J’arrête.
- Avez-vous pensé à transmettre votre art ?
J’y ai pensé et c’est pour cela que je ne veux pas le faire. Je n’ai pas envie d’avoir une école de danse ou d’avoir une compagnie parce que ce n’est pas comme cela que cela se fait. J’ai appris en regardant. J’ai appris avec des gens fabuleux comme Rudolf Nourev en parlant avec eux. Je n’ai pas appris avec des leçons mais en observant leur courage. J’ai appris une discipline avec le système d’éducation, mais c’est tout, pas plus que cela. Je serai toujours là pour répondre à des questions mais je n’en ferai pas un métier.
- Comment se compose votre dernier spectacle ?
Dans le premier c’est un solo d’Akram Khan avec des musiciens. Ensuite il y a le pas de deux de Russell Maliphant avec Emanuela Montanari. Et puis il y a le solo de Mats Ek. En danse contemporaine c’est très rare qu’il y ait des ballets avec beaucoup de monde. Et cela change le contact avec les chorégraphes. Dans les grands ballets classiques on est simplement interprète, on peut cependant inventer des choses mais la vision personnelle compte peu. Alors que dans la création contemporaine il y a un vrai dialogue avec les chorégraphes. Mais j’ai donné le choix. Je n’ai pas dit à Akram Khan ou Mats Ek que je voulais un solo mais c’était une évidence pour eux. En revanche j’ai suggéré à Russell Maliphant de faire ce pas de deux avec une femme car je ne l’avais jamais fait.
- Pendant cette dernière tournée, est ce que vous pensez aux chorégraphes qui vous ont inspiré ?
J’y pense tout le temps et c’est pour cela que dans le dernier spectacle il y a aussi une chorégraphie de William Forsythe, un duo interprété par deux danseurs masculins de sa compagnie. La rencontre avec Akram Khan a aussi été un tournant dans ma carrière. J’avais envie de faire des choses nouvelles et pas un best of.
- Quand vous vous retournez sur votre carrière, est ce que vous vous dîtes « quel destin fabuleux j’ai eu » ?
Oui. Je recommencerai même si cela n’a pas toujours été facile, même s’il a fallu mener des batailles. J’ai eu beaucoup de chance. Je suis tombée par hasard dans un lieu pour lequel je n’étais pas faite et j’ai aimé tous les moments. C’est pour cela que la décision a été difficile à prendre parce que c’est ma vie depuis que j’ai 11 ans. Je n’ai pas cessé de m’émerveiller d’être en scène sans jamais ressentir la notion de sacrifice. C’était un devoir de la faire, car j’avais de la chance et c’est un endroit extraordinaire. Mais je suis née aussi avec des outils pour faire de la danse, dont mes pieds. Mon père avait les mêmes !
- Vous allez vous engager dans une nouvelle vie et défendre des combats écologiques. Pourquoi cet engagement ?
J’espère être active. J’ai de l’énergie et de la motivation. Je vais avoir plus de temps pour m’en occuper. Ce sont des choses qui me tiennent à cœur et je vais essayer de m’impliquer le plus possible dans ces combats qui me sont chers comme Sea Shepperd ou Kokopelli. Il y a beaucoup de choses à faire car c’est si difficile de sauver le monde.
- Comment s’est opéré le déclic ?
J’ai toujours été concernée par l’eau et par la nature mais mon premier déclic a été d’avoir un tout petit jardin à Londres. J’avais un tout petit appartement et un jardin de la même taille. J’ai ainsi découvert des règles que je ne connaissais pas bien. Et puis j’ai découvert le travail de Paul Watson à travers une émission à la télévision. Je me suis documentée. J’ai lu le livre de Lamya Essemliali « Entretien avec un pirate » (éditions Glénat). Lorsque j’ai fermé le livre je me suis dit : « c’est fini j’arrête de manger du poisson ». Parce qu’il est dit qu’en 2048 il n’y aura plus de poisson dans les mers. Une semaine après j’ai arrêté de manger de la viande.
- Qu’est ce que cela a changé à l’intérieur de votre corps ?
Je me sens bien, surtout moralement. Je n’ai jamais eu de problème avec l’alimentation, je mangeais de tout, y compris des choses très grasses. Mais maintenant je retrouve beaucoup d’énergie et beaucoup de force. Normalement quand on vieillit on devient plus faible, c’est l’inverse. Donc j’imagine que ce régime me fait beaucoup de bien.
- Est-ce que vous auriez aimé danser dans l’eau avec des baleines par exemple ?
On me l’a proposé, mais dans l’eau je suis terrible et nulle ! Je préfère défendre à terre les actions de Sea Sheperd qui s’attaquent à de gros business !
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
Lun 29, Mar 30 juin, Mer 1er, Jeu 2 juillet 2015 / Lyon / Nuits de Fourvière (premières françaises)
Ven 18, Sam 19, Dim 20 septembre 2015 (tbc) / Paris / Théâtre des Champs-Elysées
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