Notre voyage à nous – celui de l’écriture de Styx et Brahmapoutre – tournait autour du voyage initiatique, du déplacement intérieur et de la peur. Depuis le départ et pendant très longtemps, il avait pris la forme d’images, de tableaux visuels qui avaient eux-mêmes donné naissance à des bouts de textes. Pas d’histoire à proprement parler mais des matières éparses qui ne demandaient qu’à se rencontrer. Les résidences de recherche s’enchainaient. Le plateau confirmait mes intuitions et engendrait de nouveaux tableaux, de nouvelles matières texte. Ce curieux processus de création s’était imposé à nous comme une évidence. Il nous mettait en joie. Le travail avançait bien. J’étais au bon endroit.
Et puis, il m’est arrivé, dans ma vie personnelle, un ‘petit’ cataclysme. Ma mère a basculé de manière fulgurante dans la maladie d’Alzheimer. Au fur et à mesure que je l’accompagnais vitesse grand V sur l’autoroute de la maladie, l’espace pour la création s’est réduit dans ma tête. Plus d’images. Plus d’intuition. La confiance n’en parlons pas. Juste un gros trou noir. Et l’impossibilité de retrouver le fil de mon spectacle. C’est à ce moment-là que j’ai appelé mon amie Clémence* à la rescousse. J’ai lui envoyé les vidéos des tableaux créés jusque-là et mes réflexions sur la dramaturgie. Elle a proposé de s’appuyer sur la cartographie des enfers grecs. Ça avait du sens. Il y avait plein de liens avec la matière glanée jusque là. On a creusé l’idée. Trouvé de belles pistes de tableaux (et si les gens venaient jeter leurs peurs dans le Léthé, le fleuve de l’oubli?). Réalisé quelques rêves au passage (faire faire une chenille géante au public pour se placer dans les gradins : grand moment de théâtre). C’était gai. Oui mais. En regardant avec un peu de distance la piste dans laquelle nous nous engouffrions, ça m’a paru évident : j’avais complètement perdu l’essence même du spectacle. On ne cherchait pas au bon endroit.
Il y a deux mois à peine, mon amie Aliona* est rentrée dans la danse. Aliona est venue me chercher sur un terrain beaucoup plus intime. J’ai longtemps résisté mais Aliona a le pouvoir d’une chamane-pythie. Elle sait t’emmener en douceur à des endroits inconnus de toi-même. Là où tu aurais trop peur d’aller seule. Elle voit au delà de toi. Sans vraiment m’en rendre compte, mes résistances ont lâché. On a mis en place un processus d’écriture aussi intuitif que joyeux, mêlant cartographies et écriture à quatre mains. On a injecté ce qu’il fallait de poésie, de légèreté et de métaphore pour que la matière texte se décolle de mon histoire personnelle et devienne une pièce à part entière. En moins de trois semaines, on avait un texte. Un fil. Un sol. Dans la foulée, on est parties en résidence avec l’équipe et tout s’est imbriqué naturellement. Le plateau validait toutes les intuitions. Les tableaux construits depuis quatre ans trouvaient non seulement leur place mais ajoutaient aussi de la densité au propos. Et le retour des spectateurices (enfants et adultes) confirmait, lui aussi, que nous étions au bon endroit.
Styx et Brahmapoutre raconte donc l’histoire de l’écriture de ce spectacle sous la forme d’un voyage initiatique. Et pour avancer dans sa cartographie mentale, Sophia, la créatrice du spectacle, est accompagnée par Aletheia, une espèce de figure onirique qui va prendre plusieurs formes. Parfois, c’est la figure de sa mère dont la tête part régulièrement en vadrouille. D’autres fois, Aletheia se transforme en trou noir lumineux ou en hôtesse de l’air décalée. Et elle finit par se transformer en Léthé pour inviter Sophia à jeter dans son fleuve de l’oubli tous les blocages et les peurs qui nous empêchent d’avancer.
Il me reste encore du travail. L’écriture va encore bouger, s’affiner, se préciser. Deux tableaux restent à monter. Mais aujourd’hui, je sais, de manière organique et évidente, que mon spectacle m’a trouvée. Cette création est – à n’en pas douter – la plus intense que j’ai pu vivre et elle marque, d’ores et déjà, un tournant dans mon chemin d’artiste. Sacré voyage…
Note d’intention de Sophie Dufouleur – Octobre 2024
Styx & Brahmapoutre de la cie Abernuncio
Conception : Sophie Dufouleur et Emeline Thierion
Mise en scène : Sophie Dufouleur
Interprétation : Emeline Thierion et Sophie Dufouleur
Collaboration artistique : Raffaëlla Gardon
Collaboration au plateau : Céline Hilbich
Dramaturgie / Écriture : Sophie Dufouleur et Aliona Gloukhova
Scénographie et construction : Emeline Thierion et Sophie Dufouleur et Simone Découpe
Création sonore : Michael Santos
Création lumière : Lou-Anne LapierrePRODUCTION
Compagnie AbernuncioCOPRODUCTION
– La Minoterie – pôle de création Jeune public et d’éducation artistique (21)
– Le Lieu (24)
– Le Collectif des Possibles (68)SOUTIENS ET PARTENAIRES
– Le Théâtre Dijon Bourgogne – CDN de Dijon
– L’ARC – Scène Nationale du Creusot (71)
– La Minoterie – pôle de création Jeune public et d’éducation artistique (21)
– Les Chantiers du Théâtre de Villeneuve-sur-Yonne (89)
– La Maison Jacques Copeau de Pernand-Vergelesses (21)
– Le collectif des possibles à Fellering (68)
– L’ARTDAM à Dijon (21)
– La Nef – lieu de création dédié aux arts de la marionnette et
aux écritures contemporaines (93)
– Le Lieu (24)
– Le dispositif coup de projecteur / La PLAJE – réseau jeune public BFC
– Région Bourgogne Franche-Comté
– Ville de Dijon (21)
– Ville de Saint-Vallier (71)
– DRAC Bourgogne Franche-Comté (demande en cours)21 février 2025
à 19h00
Théâtre de La Minoterie, Dijon
en partenariat avec le festival A Pas Contés
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