Dans un seule en scène subtilement construit par Hubert Colas, Stéphanie Aflalo incarne Lætitia, la narratrice de Partout le feu, percutant roman en vers libres d’Hélène Laurain. Une remarquable performance qui donne à découvrir une écriture abrasive et un personnage d’activiste écologiste radical certes, mais somme toute ordinaire, qui brûle de la difficulté de vivre dans ce monde.
C’est son premier roman. Les communicants disent qu’il est incandescent par résonance facile avec son titre, mais pas que. Partout le feu est effectivement l’œuvre intense d’une autrice trentenaire, Hélène Laurain, parue en 2022 chez Verdier. L’action s’y déroule près du village fictif de Boudin, derrière lequel se devine l’ombre de Bure. C’est là-bas, dans la Meuse, que, depuis de nombreuses années, se développe le projet d’enfouissement de déchets hautement radioactifs Cigéo. Une poubelle qui restera dangereuse pendant des millénaires, dont les concepteurs assurent cependant que la sécurité sera pérenne et totale. Le réchauffement climatique rebat chez les écologistes les cartes du rapport au nucléaire, mais, après Notre-Dame-des-Landes, s’est organisée là-bas une nouvelle ZAD (Zone à défendre), régulièrement évacuée, et la région concentre ainsi de nombreux activistes écologistes circulant à travers les ronds-points et sous les lampadaires flambant neufs de villages rénovés à coups de généreuses subventions publiques distribuées pour séduire les populations.
« Il y a quelque chose de magique à ce que les artistes en même temps veuillent explorer les mêmes thèmes », confiait Hélène Laurain, en février 2022, au micro de France Culture, au vu des nombreuses œuvres qui se sont saisies du motif du feu ces dernières années. Faut-il y voir le symptôme d’un monde qui s’embrase ? L’autrice lie son choix, bien entendu, aux mégafeux qui se répandent à travers la planète, mais aussi à ceux qui ont enflammé l’actualité lors du mouvement des Gilets jaunes, contemporain de l’écriture du roman. Récit de l’activisme écologique, mais également de la passion amoureuse, de la communion des citoyens ou de la simple joie d’être ensemble, Partout le feu décline ce thème sous de multiples aspects. Dans le fond autant que dans la forme, à travers le crépitement d’une prose syncopée, d’un roman écrit en vers libres, où le monde surgit par flashs et par flambées.
Hubert Colas, le metteur en scène du spectacle, a choisi de confier le rôle de Lætitia, sa narratrice et personnage principal, à Stéphanie Aflalo. La comédienne, également autrice et metteuse en scène, lui donne en retour une couleur bien particulière. Distance et hypersensibilité au réel, sourire chaleureux et ironique à la fois, fragilité et détermination façonnent ainsi cette jeune femme engagée dans la lutte anti-nucléaire, mais aussi dans une relation amoureuse cachée et un rapport à une sœur jumelle compliqué. Être de contrastes qui porte la joie dans son prénom, mais également la douleur aiguë de la destruction de notre environnement, Lætitia navigue entre surveillance policière, actions coup de poing, fêtes arrosées, retrouvailles amoureuses et mariage de sa sœur dans une solitude qui ne demande qu’à se briser. Le feu qu’elle porte en elle est celui d’un désir de fusion avec les autres, avec le monde, l’ardente envie d’une réconciliation qui, malheureusement, ne vient pas.
Si l’adaptation du roman opère forcément des coupes qui fragilisent la compréhension, la simplicité scénographique d’Hubert Colas et l’apport du travail vidéo de Pierre Nouvel concrétisent et amplifient le récit avec finesse. D’autant mieux que Stéphanie Aflalo, seule devant une table, sur une scène barrée d’un grand écran derrière lequel on devine un salon avec un canapé où son personnage s’assoit par moments, s’approprie véritablement les mots d’Hélène Laurain. Sans le rythme effréné qu’aurait pu laisser attendre une introduction en mode percussif et la fluidité d’une prose sans ponctuation, avec une certaine lenteur même où se devine le plaisir que prend l’actrice à imprimer son propre découpage sur celui des vers libres, les scènes résonnent dans toute leur beauté. Intrusion dans une centrale, danse, relation sexuelle, malgré le vide que laissent les deuils et les trahisons, Laetitia court après un bonheur que ne paraît plus lui permettre l’état du monde. Catastrophe écologique et nucléarisation des relations obligent, les fissures que révèle ce spectacle ne sont pas seulement celles que produit l’atome.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Partout le feu
Texte Hélène Laurain (Éditions Verdier)
Mise en scène et scénographie Hubert Colas
Avec Stéphanie Aflalo
Vidéo Pierre Nouvel
Lumière Nils Doucet, Hubert Colas
Assistant à la mise en scène Hao Yang
Régie son Sammy Bichon
Régie vidéo Morvan HaurayProduction Diphtong Cie
Soutien CENTQUATRE-PARIS, Friche la Belle de Mai – Marseille, Centre Wallonie-Bruxelles/ParisDurée : 1h25
Centquatre-Paris, dans le cadre du festival Les Singulier·es
du 15 au 18 janvier 2025Théâtre Joliette, Marseille
du 2 au 4 avrilFestival Latitudes Contemporaines, Lille
en juin
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