Au 1er octobre prochain, Stéphane Malfettes sera le nouveau directeur du festival pluridisciplinaire de La Bâtie à Genève. Il remplacera Claude Ratzé, qui prend sa retraite, et devra imaginer l’édition 2026, la 50e de cette manifestation qui, traditionnellement, se déroule de la fin août à la mi-septembre. Interview.
Stéphane Malfettes a œuvré à la programmation culturelle du Palais de la Porte Dorée à Paris et de l’Auditorium du Musée du Louvre. Il est à la tête des Subs à Lyon depuis 2019, un établissement qui appartient à la Ville de Lyon, qui le finance en très grande partie. Dans ses deux salles (120 et 220 places en configuration assise), sous la verrière, sur l’esplanade ou dans les studios de danse, il a développé une programmation pointue mêlant arts visuels, théâtre, danse, arts numériques, arts graphiques, arts visuels, cirque, musiques contemporaine, urbaine et électro.
Il a accueilli cette saison Steve Cohen, Théo Mercier, Marlène Saldana, Jani Nuutinen, Aurélia Lüscher, Marion Siéfert, Olivia Grandville, Juan Ignacio Tula ou encore Julien Andujar. Et il travaille en partenariat étroit avec la Biennale de danse de Lyon, Littérature live, IF (Illustration festival), Sens interdits, la fête des Lumières, les Nuits de Fourvière, le festival Transforme porté par la Fondation Hermès… Chaque été, il invite aussi un plasticien à habiller l’espace de l’esplanade par une installation géante. Depuis le mois de mai dernier, Khaled Alwarea a installé le spectaculaire Arcadia. Cette œuvre de bois, accessible au public et qui peut offrir une scène aux artistes, restera en place durant trois ans.
Trois mois avant son départ, Stéphane Malfettes nous explique son choix de quitter les Subs pour rejoindre la direction de l’un des piliers culturels genevois, comme l’ont récemment décidé Séverine Chavrier et Jean Bellorini, qui, eux, quittaient toutefois un type d’établissement bien différent des Subs, un CDN.
Après Séverine Chavrier à la Comédie de Genève, Jean Bellorini au Théâtre de Carouge et Lou Colombani au Pavillon ADC de Genève depuis peu, voici un nouveau directeur français en poste en Suisse. Pourquoi rejoignez-vous la direction du festival de La Bâtie ?
À la fois pour des raisons géographiques et conjoncturelles me concernant. Il y a des rapports transfrontaliers très forts entre ces deux pays, bien au-delà de la culture. Dans notre action, ici, aux Subs, nous avons des interactions très importantes avec des institutions suisses et des artistes suisses, surtout dans la partie romande, et surtout à Genève. Donc, il y a ce lien organique. Et puis, en fait, je vis et travaille déjà dans la banlieue de Genève, à Lyon (rires). C’est un peu une réalité, même si l’agenda politique sur cet axe Lyon-Genève est moins fort qu’il y a quelques années, notamment en matière de circulation de transports. En tout cas, il y a une circulation express dans le domaine culturel !
Aujourd’hui, la création en Suisse est vraiment intéressante, particulièrement en Suisse romande. Une nouvelle génération arrive et elle est géniale. Ce qui me plait, c’est que ces artistes prennent la création artistique très au sérieux sans se prendre très au sérieux. C’est l’esprit que j’essaye d’avoir dans ma mission de responsable culturel. C’est cet esprit qui m’anime. Et je vais bien sûr travailler avec Carouge et avec la Comédie de Genève.
Est-ce que vous partez aussi pour avoir plus de moyens financiers ?
Honnêtement, je pense que la fragilité budgétaire est partagée partout. En France, en Europe… quand on voit ce qui s’est passé en Allemagne ! C’était une sorte d’eldorado culturel jusqu’à présent et tout s’est effondré. Je ne pense pas que la Suisse soit préservée de ça. Tous les lieux et toutes les institutions sont obligés d’avoir une dynamique budgétaire qui se reformule. Mais il est certain que, par rapport à ce qu’on vit en France aujourd’hui, il y a en Suisse une stabilité financière plus assurée, notamment dans une ville comme Genève. Mais il y a aussi des enjeux sur la diversification des ressources propres, la gestion du budget, la façon dont les moyens vont pouvoir être optimisés à fond pour plus de possibilités artistiques, et comment il y a aussi une intelligence collective avec les autres lieux partenaires pour pouvoir faire le meilleur ensemble. Ça, c’est vraiment une réalité qui est symétrique à ce que je vis ici à Lyon.
Qu’est-ce que vous allez proposer pour ce festival ? Quels sont les axes que vous défendrez ?
Ce festival correspond à mes goûts, mes désirs, mes connaissances et mes compétences par la notion de diversité qu’il défend. La notion de diversité des esthétiques, des formes, des formats, des lieux. C’est vraiment ça que j’ai envie d’affirmer pleinement. Et ce qui m’intéresse aussi, c’est que c’est un festival qui a une histoire longue, qui est vraiment très établi et est toujours resté intéressant. Je ne dois pas juste gérer un existant. Il y a vraiment un enjeu de renouvellement en développant le cirque de création (au plateau, en chapiteau ou dans des espaces non dédiés), par exemple. La Bâtie se déploie en collaboration avec les équipements culturels à Genève, mais il faut aussi trouver la place pour développer un projet de lieu central qui soit une sorte de force motrice pour réunir tout le monde à différents moments. Pour l’instant, ça a été beaucoup d’expériences nocturnes. Moi, j’ai plutôt envie de proposer un modèle plus diurne, même s’il y aura des soirées, très ouvert sur la ville. Ce qui m’intéresse, c’est cette entité plurielle et collective et de vraiment jouer collectif à tous les étages du projet, avec les partenaires culturels, associatifs, et l’équipe.
Vous êtes arrivé en 2019 aux Subs, il y a eu ensuite la pause du Covid. Ce n’est pas tôt pour partir ?
Oui et non, mais c’est vrai que ça ne se décrète pas. Et honnêtement, j’aurais très bien pu rester plus longtemps. Mais un lieu aussi original et en réinvention permanente que les Subs mérite que la direction ne reste pas trop longtemps.
Et puis, aujourd’hui, les missions, le projet, l’équipe, la gouvernance et les partenaires publics des Subs sont alignés. Même si, bien sûr, il n’y a pas suffisamment de moyens, nous ne sommes pas les plus à plaindre quand je pense aux artistes ou à des lieux beaucoup plus fragiles que nous. Les Subs bénéficient d’un soutien et d’une confiance qui m’ont permis d’avoir une liberté d’action absolue. Et on est passé de 10% de ressources propres en 2019 à 30% en 2024, en augmentant de quasiment un million d’euros le budget grâce à de l’économie que nous avons développée (le bar, la production déléguée, le mécénat, etc.). Ce que je laisse en partant est prêt à se développer différemment, mais avec un socle qui est vraiment solide. L’équipe est très impliquée et sereine aujourd’hui. Ce n’est pas rien.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
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