Après Avremo ancora l’occasione di ballare insieme, le tandem italien poursuit, à la Ménagerie de Verre, son exploration miroir du Ginger & Fred de Federico Fellini, mais ne parvient pas à renouer avec la grâce subtile et la beauté fragile de son précédent opus.
Depuis nombre d’années, Daria Deflorian et Antonio Tagliarini ont pris pour habitude de multiplier les formes autour des objets dont ils s’emparent afin d’examiner leurs différentes facettes, et de les transformer en plus grandes sources d’inspiration possible. Après Avremo ancora l’occasione di ballare insieme [Nous aurons encore l’occasion de danser ensemble], donné, l’an passé, sur la grande scène des Ateliers Berthier du Théâtre de l’Odéon, et avant la sortie d’un documentaire réalisé avec Jacopo Quadri, le duo italien a jeté son dévolu sur un plus petit plateau, celui de la Ménagerie de Verre, pour poursuivre, dans une atmosphère autrement plus intimiste, son exploration du Ginger & Fred de Federico Fellini, érigé en miroir artistique de leur tandem.
Intitulé Sovrimpressioni, en référence au recueil de poésies d’Andrea Zanzotto – « qu’il faut lire, selon l’auteur, ‘en relation avec le retour de souvenirs et de traces scripturales et, en même temps, avec des sentiments d’étouffement, de menace…’ », souligne Daria Deflorian –, ce nouveau pas de deux a l’allure d’un préquel – sorte de prolongement antéchronologique – de leur précédent opus. Attendus dans leur loge par deux maquilleuses (Cecilia Bertozzi et Chiara Boitani), Daria Deflorian et Antonio Tagliarini apparaissent tels qu’en eux-mêmes, en habits de ville, pas encore tout à fait prêts à monter sur scène. Installés à chaque extrémité d’une grande table longiligne, au milieu de laquelle trône un double miroir, ils sont autant face-à-face que confrontés à leur propre reflet. Piégés dans cet entre-deux, à mi-chemin entre les comédiens qu’ils sont et les personnages qu’ils s’apprêtent à incarner, ils ne tardent pas à se regarder au fond des yeux, à disserter sur le temps qui passe et sur les effets qu’il produit.
Avec ce qu’il faut de distance ironique, Daria Deflorian se confesse alors sur sa façon, désormais, de préférer être assise que debout, de tenir son partenaire bras dessus-bras dessous plutôt que par la main, ou d’avoir fait du rangement de chaises l’un de ses moyens de détente favori ; de son côté, Antonio Tagliarini se lamente, la soixantaine passée, d’être devenu un « semi-vieux », cette espèce d’homme entre deux âges, entre deux mondes et, en définitive, à un tournant de sa vie, autant personnelle qu’artistique. Car, bientôt, le tandem ouvre le champ des possibles et, de fil en aiguille, ou plutôt de strate en strate, construit un cheminement intellectuel qui retrace leur parcours, leur évolution, et les dévoile, aussi bien en tant qu’individus que comme duo, avec leur lot de forces et de regrets, en regard, toujours, de l’oeuvre cinématographique du maître italien.
Malheureusement, cet enchevêtrement kaléidoscopique, au-delà des quelques sourires qu’il suscite, n’a ni la grâce sensible, ni la beauté fragile de Avremo ancora l’occasione di ballare insieme. Alors qu’ils étaient parvenus à offrir une radiographie sublime et subtile de leur couple artistique au fil des âges, les deux comédiens donnent cette fois l’impression d’enchaîner les anecdotes, mises plus ou moins artificiellement les unes à la suite des autres, sans réussir à dépasser leur précédent spectacle. Comme si, contrairement à ce qu’ils attendaient, ils n’avaient rien eu de substantiel à y ajouter. Là où leur force et leur spécificité résident habituellement dans leur façon de tâtonner et d’entrer par effraction dans le cœur des spectateurs – qui doivent, de leur côté, faire leur part du chemin –, Daria Deflorian et Antonio Tagliarini paraissent cette fois, malgré leur belle présence et leur aisance scénique, très autocentrés, comme recroquevillés, pas tout à fait en mesure d’aller au-delà de la surface, et de partager pleinement ces doutes qui les animent et ces références qui les traversent, les ont façonnés et les façonnent encore.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Sovrimpressioni
Un projet de Daria Deflorian et Antonio Tagliarini
Assistante mise en scène Chiara Boitani
Avec Daria Deflorian, Antonio Tagliarini, Cecilia Bertozzi, Chiara Boitani
Lumières Giulia Pastore
Costumes Metella RaboniProduction Associazione culturale A.D. ; Santarcangelo Festival
Accueil en résidence Ostudio Roma, Carrozzerie Not Roma
Coréalisation Ménagerie de Verre ; Festival d’Automne à Paris
Avec le soutien de l’Institut culturel italien de ParisMénagerie de Verre, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
du 14 au 17 septembre 2022
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